Officiellement lancée le 9 mai 2021, la Conférence sur l’avenir de l’Europe est un exercice politique emblématique et une étape inédite dans l’histoire de la démocratie numérique.
C’est la première fois qu’un tel processus participatif est organisé à l’échelle européenne. Reposant sur la participation ouverte en ligne de citoyens dans toute leur diversité, le travail de panels citoyens tirés au sort et de plénières délibératives, la démarche prévue pour durer un an est la plus ambitieuse que nous ayons connue à ce jour.
C’est un grand honneur pour l’équipe d’Open Source Politics de contribuer depuis plusieurs mois à la préparation et la mis en place de la plateforme participative qui est placée au cœur de la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
Le contexte
Pourquoi Decidim ?
Dès 2019, les institutions européennes et les gouvernements des États membres ont exprimé leur souhait d’impliquer les citoyens dans la définition de l’avenir de l’Europe. Après un comparatif de toutes les plateformes existantes, le choix de l’Union européenne s’est portée sur Decidim. Renouvelant un engagement de longue date en faveur du logiciel libre, ce choix était naturel tant Decidim partage dans sa conception les principes démocratiques de la Conférence : transparence, intégrité et inclusion.
La plateforme participative
Plusieurs entreprises de l’écosystème européen Decidim ont travaillé sur la mise en place de la plateforme participative. Parmi elles, Open Source Politics a été sollicité il y a près d’un an par les services de la Commission pour aider les institutions à concevoir les modalités participatives et préparer le développement de nouvelles fonctionnalités. Lancée dès le 19 avril, la plateforme a déjà recueilli plusieurs milliers de contributions. Rédigées dans n’importe laquelle des 24 langues officielles de l’Union européenne, elles sont automatiquement traduites pour rendre possible la discussion à l’échelle du continent.
Cette plateforme est la plaque tournante centrale de la Conférence. C’est grâce à elle que les idées et événements relevant de dix thématiques identifiées sont partagés et débattus. Au-delà de ces espaces de contributions et des événements décentralisés, la plateforme sera enrichie dans le futur par la retransmission des plénières de la Conférence et la présentation des panels citoyens.
Espace des contributions carte des événements COFE
La Conférence pour l’avenir de l’Europe
En cette période de changement sans précédent, les citoyens attendent plus que jamais une Union démocratique, cohérente et efficace, capable de faire face activement aux crises et défis actuels de l’Europe.
En réponse à ces défis, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil lancent conjointement la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour donner aux citoyens un rôle décisionnaire dans l’élaboration des politiques européennes.
Le 10 mars 2021 a été signée une déclaration conjointe entre les institutions européennes qui précise les contours de ce projet. Les résultats de la conférence sont attendus au printemps 2022.
Nous devons rendre ce débat aussi vivant que possible. En ces temps de COVID, cela signifie expérimenter les plateformes numériques autant que possible. Avec cette plateforme, nous offrons les outils nécessaires pour donner à chacun la possibilité de s’engager activement dans ce débat et nous veillerons à ce que ces idées alimentent l’analyse et les conclusions de la Conférence. C’est leur avenir, c’est donc leur Conférence.
L’eurodéputé Guy Verhofstadt
Préparer la plateforme de la Conférence
Plusieurs services OSP sont impliqués dans la mise en place de ce la Conférence sur l’avenir de l’Europe.
L’équipe Conseil
Notre équipe Conseil a organisé plusieurs ateliers de design au printemps et à l’été 2020 pour choisir les fonctionnalités de Decidim qui sont placées au cœur de la plateforme. Nous assurons depuis un an la coordination des acteurs impliqués dans la préparation de la plateforme, ce qui nous donne l’occasion de collaborer avec des entreprises suédoise (Digidem Lab sur les ateliers et formations), espagnole (Codegram sur les premiers développements) et roumaine (Tremend sur toutes les questions techniques).
L’équipe Produit
Notre équipe Produit intervient pour élaborer les spécifications des nouveaux développements et assurer la coordination avec la communauté Decidim. Evénements créés par les utilisateurs avec rapport de synthèses, gestion du multilinguisme, identité graphique sur mesure, carousel en page d’accueil, nouveaux systèmes d’évaluation des propositions… autant d’avancées qui bénéficieront à tous les administrateurs et utilisateurs de Decidim.
L’équipe Modération et Traduction
Nous avons constitué une équipe dédiée de quatre personnes pour assurer la modération a posteriori de la plateforme en temps réel et nous nous basons sur des experts linguistiques pour assurer une interaction avec les utilisateurs dans toutes les langues. Notre équipe de modération a également été responsable de l’intégration de tous les contenus de la plateforme dans les 24 langues.
Il est particulièrement stimulant d’échanger au quotidien avec des partenaires de tous les Etats-membres et originaires de plusieurs institutions sur l’organisation des futures étapes de la démarche et la préparation des analyses basées sur les outils d’intelligence artificielle développés par le centre de recherche de la Commission.
La plateforme n’attend que plus que vous. Vous pouvez y retrouver tous les événements créés et toutes les idées déjà déposées, mais également ajouter les vôtres et en discuter avec des citoyens de toute l’Europe. Rendez-vous sur futureu.europa.eu !
Jusqu’au 11 juillet 2019, les Lyonnais·e·s, et plus largement les Français·e·s sont invité·e·s par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) à s’exprimer sur le projet d’aménagement du Nœud Ferroviaire Lyonnais.
Avec 12 lignes qui convergent aujourd’hui vers la ville de Lyon, ce noeud ferroviaire est le plus important de France. Pour répondre aux perspectives d’augmentation du trafic ferroviaire lyonnais et à la saturation déjà existante de certaines lignes, la SNCF prévoit la mise en circulation de 40% de trains supplémentaires.
Ce projet d’aménagement convient-il aux besoins du territoire ? Quelle(s) condition(s) doit-il remplir ? Peut-on imaginer des alternatives ? C’est pour répondre à toutes ces interrogations que la CNDP a ouvert le débat. La consultation a débuté le 11 avril 2019 et propose aux citoyens de partager leur expérience, poser leurs questions, et faire des propositions jusqu’au 11 juillet 2019. Le 11 novembre 2019, le président de la commission particulière en charge de ce débat (CPDP) rendra public le compte-rendu de la consultation, qui intégrera le plus justement possible l’ensemble des opinions exprimées. Ce compte-rendu, associé à un bilan rédigé par Présidente de la Commission Nationale du Débat Public viendra nourrir le dossier d’enquête publique.
Pour la CNDP comme pour Open Source Politics, il est essentiel que le processus soit ouvert et transparent, afin que les citoyen·ne·s puissent comprendre la manière dont fonctionne la plateforme, et la façon dont les décisions sont prises. C’est la raison pour laquelle cette consultation se déroule sur Decidim, une plateforme open source conçue selon les règles du logiciel libre et de la protection des données personnelles. Son code est accessible et auditable par tous, apportant ainsi toutes les garanties de neutralité et sécurité nécessaires à toute démarche de démocratie participative.
Depuis 2017, Open Source Politics est le distributeur français officiel de Decidim, la plateforme open source créée par la mairie de Barcelone. Decidim est déjà déployée dans plus d’une centaine d’organisations dans le monde et OSP accompagne à la fois sur le volet numérique et méthodologique une cinquantaine d’organisations françaises et belges de toutes tailles.
L’engagement des citoyens progressera par la pratique démocratique concrète. Avec les associations CivicWise et Democracy OS France, nous nous sommes appliqués cette maxime en proposant au budget participatif de la Ville de Paris de dynamiser les conseils de quartier dans le 19e arrondissement. Notre projet n’a pas été sélectionné, malgré près de 500 votes réunis sur les 8 000 votants dans le 19e. Refusant de nous arrêter à cette déception, nous partageons les leçons que nous retenons de cet exercice et nos propositions pour la suite.
Le premier budget participatif au monde
Fer de lance des nouvelles interactions qu’Anne Hidalgo veut impulser avec les citoyens parisiens, le budget participatif est incontestablement un succès. Près de 93 000 participants cette année — sans compter les 66 000 enfants qui ont participé à la déclinaison dans les écoles — c’est 40 % de plus que l’an dernier et plus du double de la première édition lancée à l’automne 2014. Avec 100 millions d’euros d’investissements directement attribués par les habitants, dont un tiers à destination des quartiers populaires, les Parisiens disposent tout simplement du plus gros budget participatif au monde !
Année après année, la démarche s’approfondit. Limité à la sélection parmi des projets déjà dans les cartons de l’administration en 2014, le budget participatif répartit depuis 2015 les investissements entre des projets directement soumis par des habitants. Cette année, les associations pouvaient candidater et un véritable accompagnement a été organisé au printemps pour associer les porteurs de projets dès la phase d’évaluation par les services municipaux. Ce tamis administratif et collaboratif a fait ressortir les 600 projets soumis au vote parmi les 3 000 propositions déposées en ligne en février dernier.
Le dispositif semble attirer tous les publics : 13 000 votants habitent dans des quartiers populaires ; plus de 15 000 citoyens de moins de 30 ans ont voté en ligne ; le total légèrement supérieur de votes papier (47 000 contre 45 000 votes électroniques) laisse penser que les personnes plus âgées et/ou moins connectées ont également déposé leurs bulletins dans les urnes de nombreux espaces publics.
Dans ce contexte, faut-il conclure de notre résultat que ces citoyens, dans leur grande diversité, ne sont finalement pas si intéressés qu’on le dit par les outils et démarches civic-tech, qui peinent globalement à convaincre le grand public malgré une exposition médiatique grandissante ? Au-delà de notre projet de doter les conseils de quartier de méthodes d’intelligence collective et de plateformes participatives, il est à noter qu’aucun projet labellisé “Ville intelligente et numérique” n’a été retenu à l’échelle de tout Paris. A l’inverse, près de 50 % des projets lauréats concernent le cadre de vie et la propreté. Ce résultat, dans la lignée des premières éditions, pose la question de ce qui est comparable : à l’avenir, ne serait-il pas intéressant pour la diversité des projets soutenus que chaque votant ne dispose que d’un nombre limité de votes par catégorie ?
Nos 20 propositions pour des conseils de quartier 2.0
A l’image du budget participatif qui se perfectionne d’une année sur l’autre, la démocratie est un processus dynamique qui demande du temps pour parvenir à un nouvel équilibre. La période est paradoxale : la “crise démocratique” figure dans tous les discours alors que nos écosystèmes bouillonnent d’initiatives en ligne et hors ligne pour accompagner la transition vers un système et des pratiques politiques qui apportent plus de place et de sens aux citoyens. Rendus modestes par le chemin que nous avons à parcourir, mais porteurs de valeurs ambitieuses, nous adoptons au sein de CivicWise et Democracy OS France une approche locale, basée sur le concret et la coopération. Nous expérimentons à l’échelle de notre quartier, qui rayonne autour de la Place des Fêtes et de Volumes, l’espace de coworking où nous créons et travaillons au quotidien.
Nous avons débuté notre collaboration au premier trimestre 2016 en organisant deux “meetups” pour rassembler une cinquantaine d’habitants des environs. Ces deux ateliers créatifs nous ont permis de définir nos attentes collectives — que les conseils de quartier ne remplissent pas à l’heure actuelle — puis nos idées sur les activités, les méthodes décisionnelles et les supports numériques qu’il faudrait développer pour donner plus d’attractivité et d’impact à ces rendez-vous citoyens. Nous les avons ensuite comparées au fonctionnement existant des conseils de quartier en assistant à plusieurs séances. Nous avons synthétisé ces travaux dans une liste de 20 propositions qui ambitionnent de dynamiser l’engagement démocratique local en attirant des participants plus divers aux réunions, en développant de nouveaux formats débouchant sur de véritables décisions co-construites avec les citoyens et de nouveaux outils numériques adaptés.
Des budgets participatifs inversés pour associer les citoyens aux décisions d’économie budgétaire
Une discussion avec Hugo Barthelemy, Mael Donnard et Valentin Chaput autour de l’idée d’accompagner des collectivités et leurs citoyens dans la réalisation de “budgets participatifs inversés” grâce à une formation, un suivi et un outil numérique favorisant la transparence.
Pouvez-vous résumer le contexte qui a donné naissance à cette idée ?
Hugo Barthelemy : L’idée est liée à un article d’Antoine Bezard, qui détaille la démarche de la ville de Loon-Plage dans le Nord. Cette collectivité devait réduire son budget de 300 000€. Pour ce faire, ils ont tiré au sort les citoyens qui ont ensuite été formés à comprendre le fonctionnement d’un budget municipal, puis à faire un choix sur les différentes dépenses à réduire. À la fin de ce processus, la ville a réussi à réduire de 325 000€ le budget initial, c’est à dire à dépasser l’objectif en atteignant un consensus ! Il y a un réel intérêt à faire participer les citoyens à ce type de démarches. Suite à cet article et aussi à notre travail avec Open Source Politics sur Consul, la plateforme libre de référence en matière de budgets participatifs, je me suis dit qu’il serait intéressant de créer un processus donnant aux citoyens la possibilité de débattre des budgets et de leurs ajustements : réductions des coûts, projets alternatifs, répartitions sur d’autres priorités etc. Il s’agirait à la fois d’un accompagnement physique à travers une démarche pédagogique, mais aussi d’un outil numérique qui permettrait de mieux visualiser les flux financiers liés au budget et de rendre le processus plus transparent. C’est un point important. La formation, l’accompagnement, l’initiative des propositions et le vote des décisions citoyennes sur la plateforme doivent être indépendants de la municipalité. En revanche, la collectivité doit jouer un rôle crucial d’évaluation des projets en particulier pour valider les aspects financiers et leur viabilité.
Quels sont les points forts de cette idée ?
Mael Donnard : La grande force de ce projet est l’implication directe des citoyens, dans le sens où les choix découlent de leurs idées et limitent donc la contestation. Comme dans toute campagne de consultation, cela permettrait de rendre la décision plus conforme aux attentes des habitants. C’est donc une démarche globale. D’ailleurs, la recherche de consensus sur des arbitrages budgétaires est une problématique qui dépasse les institutions publiques et concerne également le secteur privé, voire le foyer de chacun.
Valentin Chaput : La méthodologie est intéressante : pour l’instant les budgets participatifs consistent essentiellement à définir une partie des investissements d’une collectivité. Cela permet de faire participer les citoyens sur la création de nouvelles infrastructures mais pas de se confronter aux problèmes d’économies que beaucoup de collectivités territoriales rencontrent : on constate que l’État baisse chaque année ses dotations alors que les dépenses des collectivités — et les services associés — se sont sensiblement accrus depuis trente ans. Dès lors, l’arbitrage des réductions budgétaires est délicat et nécessite une réorganisation sur laquelle les citoyens ne sont pas directement consultés. Pourtant, les quelques expériences réalisées montrent que les initiatives inclusives arrivent à des résultats plus justes et mieux acceptés. Les choix faits dans ce type de processus sont éminemment politiques, voire idéologiques, et il est donc légitime que les citoyens soient impliqués. Pour nous, il y a d’abord un objectif d’explication de la démarche mais aussi, bien sûr, celui de donner de la visibilité aux budgets locaux, pour arriver à des choix transparents et réalistes. En plus de cet objectif de transparence que mentionnait Hugo, c’est aussi une bonne manière de responsabiliser les citoyens sur les problématiques de gestion des budgets locaux et de démystifier ces sujets.
Pouvez-vous définir les enjeux auxquels ce type de démarche sera confrontée ?
V.C. : Il y a un enjeu pédagogique évident, d’explication du fonctionnement du budget d’une collectivité publique. Cette démarche est souvent compliquée pour les villes, qui ont du mal à détailler à leurs citoyens où l’argent part, la différence entre dépenses de fonctionnement et d’investissement, entre les perspectives à court, moyen et long-terme etc. Il nous faut donc définir une méthodologie précise construite autour de supports d’information, d’ateliers collectifs et d’une plateforme de consultation.
M.D. : Nous anticipons quelques risques qu’il nous faudra éviter : ne pas pointer du doigt tel ou tel agent ou groupe d’agents publics, ne pas exposer des informations personnelles comme les niveaux de rémunérations. De manière générale, il faut que les participants soient représentatifs de la population. Pour s’assurer de cela on pourrait par exemple envisager de tirer les participants au sort. Enfin, un enjeu de taille concerne l’aspect inclusif : les thématiques économiques restent assez complexes et il faudra trouver le moyen de lutter contre l’auto-censure pour ne pas se priver de gens dont la contribution serait d’une grande valeur mais qui, par peur de ne pas être à la hauteur, n’oseraient pas participer.
H.B. : Cette démarche pédagogique passe par un enjeu de visualisation, afin de faire comprendre par la représentation graphique que, par exemple, supprimer des dépenses dans un secteur donné peut en engendrer de nouvelles dans un autre. Ce n’est pas évident à réaliser mais ça fait partie du travail de formation qui permettra aux citoyens de réaliser l’influence qu’une décision peut avoir sur une autre.
Quelles modalités pour de telles démarches ?
V.C. : Il nous faut créer un prototype dans une ou deux collectivités pilotes pour être accessibles à tout le monde. Pour la première année nous devons déterminer combien de personnes doivent faire partie de ce prototype. Il faut aussi que l’administration définisse les options budgétaires sur lesquelles la consultation sera effectuée, à moins que l’on parte sur une démarche où des citoyens sont sélectionnés et ont carte blanche pour faire leurs propositions. Se pose ensuite les questions de savoir comment sélectionner les participants, comment les former, comment faire en sorte que l’ensemble des citoyens aient accès à la plateforme et enfin comment arriver à un résultat qui puisse nourrir un conseil municipal. C’est un jeu de rôles pour des citoyens qui ont envie de comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur d’une administration. Il faut donc à mon sens partir sur un dispositif resserré, avec des volontaires ou des citoyens tirés au sort que l’on accompagne pendant plusieurs mois au bout desquels ils remettront un rapport expliquant leurs préconisations concernant les secteurs nécessitant des réductions budgétaires au conseil municipal. En ce qui concerne les outils, la plateforme devra passer par une combinaison d’outil pédagogiques qui restent à définir, je pense par exemple au projet OpenBudget qui permet une visualisation des données budgétaires. Pour le vote en revanche, Consul est très adapté.
H.B. : Le choix des subventions à allouer peut-être un bon angle d’attaque pour les prototypes car c’est un domaine à la fois restreint, donc plus facile d’accès, mais qui gagnerait aussi à être plus transparent. Une autre idée peut être de faire une consultation préalable pour définir les règles précises avant de lancer un prototype. On peut aussi simplement laisser l’administration délimiter les options sur lesquelles les citoyens vont être amenés à se prononcer. Se pose alors la question de la sélection des citoyens impliqués dans la décision. À cet égard l’exemple du Conseil de la Nuit est intéressant : pour assurer la parité hommes-femmes, étaient installées une urne “femmes” et une urne “hommes” d’où l’on tirait un nom à tour de rôle, garantissant ainsi un tirage équitable. Concernant les sujets abordés, nous pourrions aussi imaginer collecter les avis des citoyens sur les recettes de la collectivité. Par exemple : “Faut-il une taxe d’habitation plus importante ?”. En ce qui concerne l’outil numérique, je pense que l’idéal serait un modèle similaire à la collaboration d’Open Source Politics avec la mairie de Nanterre pour créer la plateforme de participation de la ville. Il s’est agi d’une véritable démarche de co-construction et c’est le meilleur moyen d’aboutir à un résultat satisfaisant pour les collectivités car il répond plus précisément à leurs besoins et pour les citoyens car cela nous permet de penser l’outil en même temps qu’eux. Pour en revenir au prototype, j’imaginais un processus en deux étapes : une première phase de définition du prototype, puis une seconde où l’on teste ce sur quoi les citoyens sont tombés d’accord.
M.D. : À mon sens, le vote doit se faire sur une plateforme mais pour la phase de formation, sachant que c’est une étape-clé, celle-ci devrait probablement avoir lieu à travers des ateliers physiques car il est nécessaire de travailler avec des gens motivés et on a plus tendance à faire preuve d’abnégation lorsque l’on est physiquement confronté à un groupe. Je pense aussi qu’il faudrait limiter les choix de secteurs, afin d’éviter que les citoyens consultés se contentent de faire des réductions minimes sur chacun d’entre eux. Après tout, l’intérêt d’une telle démarche réside dans l’idée de pouvoir cerner précisément les thématiques qui tiennent à cœur aux citoyens. Sur la question sociologique qu’évoquait Hugo, et à propos du genre, on pourrait même imaginer des débats exclusivement féminins, masculins, puis enfin mixtes. Ce type d’expériences montre des résultats à forte variance et cela peut-être très intéressant.
Cet article est l’occasion pour nous de lancer un appel aux municipalités qui souhaiteraient réaliser un tel prototype de nous contacter. D’ailleurs, nous avons aussi candidaté sur la plateforme des budgets participatifs de la mairie de Paris, pour une première expérimentation dans le 19e arrondissement.
Democracy Earth, la promesse de votes en ligne sécurisés et indépendants
Une interview de Virgile Deville, co-fondateur d’Open Source Politics, des hackathons Open Democracy Now ! et ancien président de l’association Democracy OS France en 2015, à propos de son implication dans le projet international de la fondation Democracy Earth et sa plateforme Sovereign.
Tu es membre de la fondation Democracy Earth, peux-tu nous la présenter ?
Virgile Deville : La fondation Democracy Earth a été créée en 2015. Elle est basée en Californie à Palo Alto. Le projet est né suite à l’incubation de Santiago Siri et Pia Mancini par Y Combinator, l’accélérateur de startups de la Silicon Valley (Airbnb, Dropbox, Reddit…). Une période d’incubation d’une durée de trois mois au bout desquels Democracy Earth a vu le jour avec pour but la création de plateformes permettant une gouvernance en ligne décentralisée et incorruptible. Depuis, la fondation a été renforcée par l’implication de Cyprien Grau, Lucas Isasmendi, Louis Margot-Duclos, Herb Stephens, Dan Swillow, Mair Williams, ainsi que moi-même. Il s’agit donc d’un petit collectif international mais le projet réunit en réalité une communauté plus vaste, un cercle élargi qui se retrouve beaucoup en ligne (près de 200 personnes échangent quotidiennement sur leSlack de la fondation pour faire avancer le projet).
Quelles problématiques abordez-vous au sein de Democracy Earth ?
La fondation veut construire des outils de gouvernance à l’échelle d’internet en y intégrant les valeurs du web et de la démocratie, à savoir : la décentralisation, la transparence et l’incorruptibilité. Parallèlement, les membres de Democracy Earth ne sont pas insensibles au contexte mondial actuel où plusieurs pays font face à des crises diverses liées à la très forte désillusion autour du système démocratique. On pense notamment au Brexit, à l’élection de Trump, mais aussi par exemple au référendum colombien portant sur un accord de paix avec les FARC. C’est également à ce type de problèmes que la fondation peut proposer des solutions…
Comment fonctionne votre outil : Sovereign ?
Sovereign est une application open source de gouvernance décentralisée où chacun est libre de faire des propositions sur lesquelles les membres de sa communauté peuvent voter et débattre. À ce propos, nous avons ouvert le code de Sovereign le jour de l’élection présidentielle américaine. Face aux résultats, de nombreuses personnes ont rejoint le projet sous l’impulsion de notre appel “Voting is not enough, join us coding”. Aujourd’hui le projet avance grâce à 12 contributeurs actifs, près de 40 personnes le suivent et il comptabilise plus de 360 étoiles sur Github. La prochaine version est prévue pour le 20 janvier, jour où Donald Trump entrera à la Maison Blanche. Toutes les bonnes volontés sont appréciées, rejoignez-nous dès maintenant ! Pour ce qui est du fonctionnement, ce projet de logiciel ouvre trois chantiers que nous considérons cruciaux pour tout processus démocratique en ligne : la décentralisation de la gestion des données utilisateur, la sécurisation des votes sur la blockchain et la démocratie liquide.
Peux-tu développer ces trois thématiques ?
Décentralisation de la gestion des données utilisateur De plus en plus, la gestion de notre identité en ligne est déléguée aux GAFAM (acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Lorsqu’on se connecte à une application via Facebook, il arrive que nous fournissions une quantité d’informations largement supérieure à ce que l’on voudrait que l’application détienne. Au sein de la fondation, nous sommes persuadés que la souveraineté personnelle passe par la reprise du contrôle de nos identités numériques. C’est pourquoi nous avons créé Self, une application mobile qui permet à ses utilisateurs de conserver leurs informations personnelles sur leurs smartphones et de donner accès aux informations au cas par cas, en flashant un QR code. Avec ce système, pas d’e-mail, pas de mot de passe et pas d’entreprise-tierce.
Voter sur la blockchain La blockchain est un système de comptabilisation incorruptible. Toute transaction ou information qui y est stockée est impossible à supprimer ou à modifier, garantissant une transparence obligatoire à tout processus démocratique qui s’inscrirait sur ce support. En ce qui concerne notre implémentation de cette technologie, nous considérons deux approches. La plus aboutie serait la création automatique pour chaque utilisateur d’identifiants blockchain (un portefeuille Bitcoin par exemple) permettant d’enregistrer dans une transaction chaque interaction ayant lieu sur la plateforme. Une autre, plus simple à mettre en place, serait d’utiliser les fonctionnalités de time stamping et d’authentification offertes par Bitcoin. En effet, avec une fonction de “hachage cryptographique” on peut transformer n’importe quelle donnée en chaine unique de caractères qui, si insérée dans une transaction Bitcoin, certifie son authenticité à un instant T.
Démocratie liquide Ce que Sovereign propose, c’est d’avoir la possibilité de donner un impact plus ou moins important à un vote en fonction de l’intérêt ou de l’opinion que l’on a sur la question. Pour faire simple : chaque votant possède une réserve limitée de votes — qui est pour l’instant établie à une centaine — pouvant être alloués de manière plus ou moins élevée à telle ou telle proposition pour donner une intensité au vote. Le vote classique dit “binaire”, où l’on se positionne simplement “pour” ou “contre” une proposition, est parfois trop réducteur. Sur Sovereign, un votant peut aussi choisir de déléguer une quantité de votes à une personne de confiance, qu’il juge inspirante, plus érudite ou plus à même de se prononcer sur une proposition ou un vote. C’est une manière de déléguer, comme on peut le faire dans nos pays en votant pour un candidat à des élections, sauf qu’en l’occurrence, la personne est nommée pour prendre une décision sur une proposition ou une thématique unique, et pas pour un mandat de cinq ans sur toutes les thématiques. On pourrait dire que c’est un mandat de très court terme, que l’on donne, soit sur un seul vote, soit sur un sujet choisi. L’aspect “liquide” se retrouve aussi dans le fait qu’à l’inverse de nos systèmes représentatifs, ici on ne donne pas de chèque en blanc à ces “experts” auxquels on délègue le pouvoir décisionnel.
Un tel système n’implique-t-il pas un risque de corruption des “experts” ?
Effectivement, ce système implique un risque. Au sein de la fondation nous réfléchissons à ces questions et aux protocoles qu’il faut mettre en place pour limiter ce type de comportement. Une réponse pourrait par exemple être de fixer un nombre maximumde votes qu’un “expert” peut obtenir, limitant par la même occasion son influence. On pense aussi à un système de révocation des votes, où les personnes ayant délégué leur pouvoir de décision obtiennent une notification sur le vote de l’expert qu’elles ont désigné et peuvent potentiellement récupérer leurs votes si elles ne sont pas d’accord avec l’utilisation qui en est faite. Quoi qu’il en soit, ces questions sont effectivement très importantes et elles sont débattues en continu par les membres de la fondation.
Conférence de Santiago Siri lors de l’Échapée Volée 2016 en France
Sovereign a-t-il déjà été utilisé ? Si oui : où et comment ?
Oui, il y a eu une utilisation publique, liée au dernier référendum en Colombie. À l’époque nous avons été contactés par des Colombiens vivant à l’étranger car certains expatriés ne pouvaient pas voter : le gouvernement avait en effet décidé de ne pas ré-ouvrir les inscriptions sur les listes électorales pour cette échéance. Il faut savoir que la communauté expatriée colombienne est proportionnellement, la plus importante au monde, justement parce que les tensions avec les FARC ont fait fuir beaucoup d’habitants. Ainsi, à l’étranger, c’est près de six millions de personnes qui n’ont pas pu voter lors de ce référendum. Pour tester notre plateforme, nous avons donc proposé à un petit nombre d’entre elles d’utiliser Sovereign pour exprimer leur avis sur la question. Il faut noter que le référendum ne concernait pas seulement un accord de paix avec les FARC, mais aussi un programme de réforme agraire, des mesures de prévention du trafic de drogue etc. C’est aussi ça que notre démarche tend à souligner : les plateformes en ligne permettent d’éviter d’avoir à répondre de manière binaire, comme ça a été le cas pour ce référendum, ou bien pour le Brexit par exemple.
Référendum alternatif proposé aux expatriés colombiens par Democracy Earth.
Nous avons documenté notre réaction aux résultats surprenants du référendum, en montrant qu’une pluralité de questions et la participation des Colombiens expatriés auraient pu aboutir à des décisions différentes.
Quels projets pourraient utiliser un tel outil ?
La technologie est open source et par conséquent accessible à tout type de structures. Il suffit qu’elles éprouvent le besoin de prendre des décisions collectives en ligne. Cela peut concerner des institutions de tailles très variées donc. Cela dit, au vu de mon expérience récente au Medialab Prado, il est probable que dans un premier temps la fondation soit amenée à travailler avec des mouvements qui s’intéressent à la gouvernance en ligne, comme les Indignados, Occupy, ou Nuit Debout en France… Les acteurs de ces structures expriment souvent le désir de s’organiser, de prendre des décisions en ligne, sans transmettre leurs données à un acteur tiers. Or, Sovereign permettra de prendre des décisions sur un système distribué où les utilisateurs choisissent les données qu’ils partagent. C’est donc l’outil idéal pour ce type de mouvements, mais la plateforme serait tout aussi adaptée aux consultations d’un élu ou d’un candidat.
Comment êtes vous financés ?
Pour ce qui est du financement, la fondation a dans un premier temps suivi le processus d’incubation de Y Combinator, qui fournit un capital d’amorçage. Suite à cela, deux investisseurs se sont joints au projet : Teespring, qui est une plateforme de prêt-à-porter personnalisable, et l’accélérateur Fast Forward, qui est dédié spécifiquement aux entreprises tech à but non lucratif. En plus de cela la fondation est aussi financée par des dons, en Bitcoin évidemment, offerts par de généreux particuliers, souvent de manière anonyme. Democracy Earth expérimente également la plateforme de financement participatif opencollective.com, dont Pia Mancini est co-fondatrice.
Qu’est ce qui, dans ton parcours, t’as mené à ces thématiques ?
C’est principalement mon implication dans la civic tech depuis deux ans au sein de la fondation, d’Open Source Politics dont je suis co-fondateur, mais aussi du projet Democracy OS auparavant, et donc de toutes les rencontres que cela implique. C’est ainsi que j’ai connu Santiago Siri et c’est lui qui m’a sensibilisé à ces thématiques de décentralisation et d’incorruptibilité. Des questions qui sont centrales pour la fondation et qui à notre sens doivent devenir des standards non seulement pour la civic tech, mais plus largement pour la démocratie en général.
Open Source Politics est une entreprise qui développe des plateformes de démocratie participative pour des acteurs publics, privés et associatifs. Contactez-nous si vous souhaitez vous engager dans un dispositif de concertation ou un budget participatif utilisant des outils civic-tech !
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