L’IA n’était autrefois que dans les coulisses, aidant à recommander des films ou des publicités. Aujourd’hui, avec des modèles comme GPT et Llama, et des outils comme ChatGPT et Midjourney, l’IA devient plus visible et plus adaptable à nos besoins.
Chez Open Source Politics, Decidim et la communauté de la participation citoyenne numérique, nous réfléchissons à la manière d’adapter cette technologie à nos dispositifs démocratiques. Ce n’est pas une question facile, et nous voulons inclure l’ensemble des utilisateurs et utilisatrices de Decidim dans cette discussion.
Afin de discuter de ce sujet, nous avons organisé un webinaire le mardi 12 septembre dont voici le replay. Bon visionnage !
Le graphisme de ce repaly est tout nouveau et préfigure de la nouvelle identité graphique qui sera utilisée à partir d’octobre sur l’ensemble de nos supports de communication. Nous l’aimons beaucoup et on espère que vous aussi 😉
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La rencontre 2023 du Club des utilisatrices et utilisateurs francophones de Decidim aura lieu le 6 octobre à Paris, à l’Urban Lab, dans les locaux d’Open Source Politics.
C’est un moment essentiel de la vie d’Open Source Politics et plus globalement de la communauté francophone de Decidim, alors nous comptons sur votre participation !
Programme de l’événement
Lors de cette journée, nous vous proposerons des conférences et ateliers d’approfondissement autour de vos démarches, des enjeux de la participation citoyenne et de Decidim. Vous aurez l’occasion de rencontrer d’autres membres du monde de la participation citoyenne open source et d’échanger autour de thématiques et enjeux communs.
Accueil — salle de l’auditorium (au rez-de-chaussée à gauche)
9 h 30 – 10 h : Accueil et petit déjeuner
10 h – 10 h 45 : Introduction sur les actualités d’Open Source Politics
11 h –12 h : Actualités Decidim et présentation de la nouvelle feuille de route ouverte.
12 h 15 – 13 h 30 : Pause repas et échanges entre pairs
13 h 30 – 14 h 45 : De nouveaux outils pour répondre aux nouveaux besoins de la participation citoyenne. Ce sera l’occasion pour nous de vous présenter les outils que nous avons récemment intégrés à notre offre de service.
15 h – 16 h : Plénière sur les organisations apprenantes, le logiciel libre et la médiation numérique. Cette partie sera présentée par Emmanuelle Roux, cofondatrice du Chaudron.io, ex-membre du Conseil National du Numérique et chevalière de l’ordre national du Mérite.
16 h 30 : Conclusion de la journée
Cette journée vous permettra :
d’apprendre les dernières nouveautés sur Decidim ;
de rencontrer d’autres personnes intéressées par la participation citoyenne ;
et partager vos expériences.
Inscrivez-vous dès maintenant ! L’inscription est gratuite mais obligatoire. Pour vous inscrire, rendez-vous sur le site du Club Decidim francophone.
Nous espérons grandement vous retrouver pour cette journée centrée sur la participation citoyenne. En attendant, retrouvez le bilan de la rencontre 2022 où était intervenu Sébastien Shulz, docteur/enseignant en sociologie et initiateur du collectif pour une société des communs. Il était venu nous parler de sa thèse « Transformer l’État par les communs numériques : Sociologie d’un mouvement réformateur entre droit, technologie et politique (1990-2020) ».
Toute l’équipe d’Open Source Politics vous souhaite une belle rentrée !
Journaliste vie de campus et chargé d’aide au pilotage démocratie participative à l’Université de Caen Normandie, Arthur Le Coz supervise aujourd’hui les concertations de l’Université au support d’une plateforme Decidim éditée par Open Source Politics.
Durant son mandat de vice-président étudiant du regroupement des universités et des établissements d’enseignement supérieur en Normandie, Arthur Le Coz a déjà pu mettre en place des assises de la vie étudiante à l’échelle régionale. Son poste à l’Université de Caen a été créé à l’occasion de son recrutement, durant la crise sanitaire, reflétant alors le souhait de la nouvelle équipe de direction de mettre en place des processus de démocratie participative afin d’associer davantage la communauté à l’élaboration de schémas directeurs ou de plans pluriannuels.
L’université en quelques chiffres
13 campus
6 villes
3 départements
33 000 étudiant.e.s
Peux-tu nous dresser un état des lieux des démarches participatives jusqu’ici menées par l’université ? A qui s’adressent ces démarches ?
Nous avons mis en place plusieurs concertations sur Decidim. Tout d’abord une concertation sur le projet d’établissement (c’est-à-dire le contrat quinquennal de l’université). Cette concertation concernait l’ensemble de la communauté universitaire : les étudiant·es, le personnel administratif, les enseignant·es-chercheur·euses, les chercheur·euses invité·es. Nous avons ensuite expérimenté un premier budget participatif, cette fois à destination seulement des étudiant·es. Au printemps 2022 nous avons mis en place une concertation sur le dispositif “Sciences avec et pour la Société”. Cette concertation s’inscrit dans le prolongement du projet d’établissement d’ouverture de la recherche à la société. A l’automne 2022 nous avons lancé une concertation qui s’adresse à l’ensemble de la communauté de l’université sur un thème d’actualité : la sobriété énergétique ! Enfin, nous avons initié début 2023 le deuxième budget participatif étudiant, cette fois en doublant le budget ! Avec un peu plus d’un an de recul sur nos démarches participatives, cela va être l’occasion pour nous de nous reposer les bonnes questions, de prendre en compte les données et de réfléchir sur la manière dont on peut améliorer les choses.
Quels sont les différents modes de recueil de la participation des étudiants à l’Université de Caen Normandie ?
En tant qu’établissement de formation et de recherche nous avons plusieurs outils de sondage : on utilise limesurvey sur certains sujets (par exemple sur les problèmes d’addiction, le sport ou la santé). Nous organisons aussi des temps d’échange directement sur les campus sans recours à l’outil numérique. Nous avons également l’ensemble de nos instances, où des étudiant·es sont élu·es : à l’échelle de l’université, mais aussi de nos unités de formation et de recherche (UFR). Dans le cas du schéma directeur de la vie étudiante, nous venons de mettre en place une concertation en ligne pour que les dates des rencontres soient disponibles mais l’essentiel de la participation se fait de manière physique. L’outil numérique vient compléter ce qu’on fait en présentiel avec pour objectif d’ouvrir un espace de propositions après ces temps de rencontres.
L’université de Caen Normandie est un établissement pluridisciplinaire qui s’étend sur 13 campus dans 6 villes, et sur 3 départements différents. Les problématiques ne sont pas les mêmes sur les différents campus car il y a notamment des différences dans l’accès au soin, les moyens de transport, ou encore l’accès à la culture.
Des personnes qui sont en charge de la vie étudiante vont directement sur les différents campus et échangent avec tous les acteurs (étudiant·es, personnes engagées ou associations étudiantes).
Des ateliers en présentiel comprennent une présentation du schéma directeur, puis des temps d’échanges informels avec les étudiant·es en petit groupe. Ce sont les élus qui viennent recueillir la parole et animent les temps d’échange.
Pourquoi avez-vous fait le choix d’un budget participatif ?
On a voulu expérimenter un budget participatif à destination des étudiant·es car la concertation sur le projet d’établissement concernait l’ensemble de la communauté de l’Université, sur l’ensemble des aspects que couvre un établissement d’enseignement supérieur comme la recherche ou le développement international (ce qui est un champ très large à moyen et long terme sur lequel il peut être difficile de se projeter). Nous avons lancé cette année une deuxième édition du budget participatif étudiant : alors que le premier budget s’élevait à 30 000 euros, cette seconde édition double le budget à hauteur de 60 000 euros.
Quelle est la différence entre le projet d’établissement quinquennal et le budget participatif ?
Lorsqu’on associe la communauté universitaire pour établir un projet d’établissement, les propositions sont soumises à un arbitrage politique qui vérifie la cohérence des propositions avec l’ensemble du plan d’action. Quand on est sur un exercice comme celui d’un schéma directeur sur 3, 4 ou 5 ans, l’étudiant·e va avoir du mal à se projeter, et c’est normal ! En effet, la personne ne va pas forcément assister à la concrétisation des lignes directrices co-décidées. La participation à un budget participatif est différente car les participant·es vont pouvoir assister concrètement à la réalisation des projets avant la fin de leur cursus universitaire. Par exemple, parmi les 3 projets lauréats du premier BP, l’un d’entre eux demandait des actions concrètes de lutte contre la précarité menstruelle. Il a rapidement été réalisé par l’installation de distributeurs de protections hygiéniques sur l’ensemble de nos campus (voir article sur la lutte contre la précarité menstruelle).
Le budget participatif fonctionne avec un budget issu de la Contribution Vie Étudiante et de Campus (CVEC) qui correspond à une taxe de 95 euros que paient les étudiant·es chaque année. Notre responsabilité est que les étudiant·es puissent comprendre comment est utilisée cette taxe et qu’ils puissent bénéficier des investissements conséquents. Le budget participatif répond à ces enjeux, il leur permet de directement s’exprimer sur leurs besoins, puis de les prioriser par le vote et enfin d’avoir rapidement un “retour sur investissement” de cette taxe qui est un véritable impôt. Le résultat : les étudiant·es sont davantage mobilisés sur le budget participatif, qui est plus concret et qui permet de se projeter à court terme.
Quelles pistes d’amélioration as-tu déjà identifié pour le prochain budget participatif ?
Nos seuls relais sur le terrain sont pour le moment les associations étudiantes. Nous n’avons pas encore de relais direct sur les campus mais ceci va se structurer très prochainement à travers la création d’un bureau de la vie étudiante et le recrutement d’un·e chargé·e de mission vie étudiante rattaché·e à la direction générale des services. Un levier pertinent que nous n’avons pas encore actionné sur le budget participatif c’est aussi le recours à des emplois étudiants en tant qu’ambassadeur du budget participatif.
Quels freins à la participation étudiante as-tu pu identifier ?
Les aspects multi-campus et multi-territoire constituent un frein important. Cela se traduit notamment dans les propositions du budget participatif qui portent surtout les 2 ou 3 principaux campus de l’université c’est-à-dire ceux qui accueillent le plus d’étudiants. A l’inverse, seule une petite volumétrie de propositions est issue de petits campus ou de campus situés hors de la ville de Caen. Pourquoi ? Le sentiment d’appartenance à l’université varie fortement en fonction de la localisation du campus, selon que celui-ci soit localisé dans la ville de Caen ou en dehors. Ce frein n’a pas su être surmonté par les stratégies de “faire venir”, jusqu’alors préférées aux stratégies “d’aller vers”. Nous tâcherons de faire évoluer cela prochainement.
Toi qui a une casquette de communiquant, quelle stratégie de communication as-tu mis en place pour ces différentes démarches ? Qu’est ce qui a bien fonctionné selon toi et qu’est ce qui n’a pas fonctionné ?
Quand on est dans une université nous avons un contexte assez différent de celui d’une collectivité territoriale. Un des avantages est que l’on dispose de l’ensemble des adresses mail et que les étudiant·es les consultent assez régulièrement. Les mails sont des outils qu’on peut utiliser ponctuellement et qui sont utiles : dès qu’on envoie un mail, sur les 24h qui suivent on constate un trafic assez important sur les concertations. On fait surtout de la communication sur les réseaux sociaux et d’autres outils internes, comme notre newsletter étudiante. Notre stratégie de communication s’appuie donc sur les outils numériques. Le meilleur conseil que je pourrais donner, au-delà d’utiliser des affiches et des posts sur les réseaux, c’est d’avoir du temps d’échange en présentiel. Dans ce sens, on gagnerait à avoir des personnes ambassadrices (issues des associations étudiantes ou des référent·es vie de campus), qui aideraient les étudiant·es au détour d’un café à émettre leurs idées sur la plateforme numérique.
Enfin, mettre en place un dispositif de participation hybride (c’est-à-dire un dispositif de participation en ligne et hors ligne) permet de toucher tout le monde. Chacun·e ayant des moyens d’échanger et d’interagir différents, il est important d’être multi-canal. Cela est autant vrai pour une démarche participative que pour une stratégie de communication.
Quels conseils donnerais-tu à une université souhaitant lancer une première démarche de participation ?
Faire un bon benchmark et échanger avec d’autres universités ! D’une université à l’autre on observe des problématiques et des méthodologies différentes, mais il y a aussi des similitudes. On ne peut pas se contenter de calquer ce qui se fait dans une collectivité territoriale, il faut s’inspirer des expériences spécifiques des autres universités pour trouver sa propre méthode.
et la place (le cas échéant) des mécanismes participatifs et délibératifs
Nous avons interviewé le professeur Yascha Mounk à propos de son livre « La grande expérience : les démocraties à l’épreuve de la diversité », qui réfléchit sur les conditions qui permettent à la démocratie de s’adapter aux sociétés dont la diversité culturelle est en augmentation. Notre objectif était de comprendre si, selon lui, les formats de démocratie participative et délibérative peuvent faciliter cette adaptation. Sa réponse est mitigée : les nouvelles pratiques démocratiques peuvent jouer un rôle positif, mais uniquement si d’abord des efforts sont faits pour augmenter la cohésion sociale.
Pourquoi les démocraties diverses s’effondrent et comment elles peuvent perdurer
Il y a quelques mois, deux membres de l’équipe de Open Source Politics, Simonas et Giulia, ont lu The great experiment: why diverse democracies fall apart and how they can endure (en français « L’expérience grandiose : pourquoi les démocraties diverses s’effondrent et comment elles peuvent perdurer »), écrit par le professeur Yascha Mounk. Dans ce livre, il décrit les défis que la diversité culturelle représente pour les sociétés et propose des perspectives sur la manière dont les démocraties peuvent relever ces défis non seulement pour s’adapter aux changements inévitables qu’elles traversent, mais aussi pour prospérer.
Chez Open Source Politics, nous croyons fermement que les mécanismes de démocratie participative et délibérative sont essentiels pour donner la parole à une plus grande partie de la population, en particulier à ceux qui sont laissés pour compte par les débats publics traditionnels et la démocratie représentative, tels que les minorités et les communautés marginalisées. Cependant, notre expérience ainsi que plusieurs recherches ont montré que les formats délibératifs et participatifs sont sujets à des biais de surreprésentation de certaines parties de la société et d’autocensure d’autres parties. Par conséquent, il arrive parfois que les initiatives participatives reflètent les biais et les exclusions déjà présents dans la politique traditionnelle.
Pour ces raisons, nous avons lu le livre du professeur Mounk avec un grand intérêt, cherchant à savoir quelle pourrait être, selon lui, la place de la démocratie délibérative et participative dans la création d’un espace civique plus inclusif, adapté à la diversité de notre société contemporaine. Notre point de départ était le suivant : les institutions et les mécanismes qui régissent nos démocraties ont été conçus à une époque où la société était assez homogène sur le plan culturel. Maintenant que ce n’est plus le cas, ces institutions ne sont peut-être plus en mesure de représenter la société dans son ensemble, et elles doivent donc évoluer et se tourner vers quelque chose de nouveau, un paradigme qui, selon notre vision, inclut la démocratie délibérative et participative.
À notre grande surprise, il n’y avait aucune référence à la nécessité de faire évoluer les institutions et les formats de la démocratie. En ce qui concerne les recommandations politiques permettant aux démocraties diverses de prospérer, le professeur Mounk insiste sur les conditions sociales qui favorisent et facilitent la coexistence, le partage et la coopération au sein et entre les différentes communautés, sous l’égide d’un État où tous les citoyens peuvent se sentir appartenir. Ces conditions sont la croissance économique, de forts efforts pour mettre en œuvre l’égalité des chances, des politiques de redistribution, la liberté vis-à-vis de l’État mais aussi de sa communauté d’origine. Il résume efficacement ce scénario dans la métaphore d’un parc public : un endroit sûr et agréable où les gens peuvent venir pour diverses raisons, seuls ou en groupe, et où ils peuvent à la fois rester avec leur groupe et interagir avec les autres. Lorsque le professeur Mounk a présenté son livre pendant une lectio magistralis à Sciences Po en octobre 2022, nous avons saisi l’occasion et lui avons demandé de l’interviewer pour approfondir nos réflexions : il a gentiment accepté notre demande.
Yascha, Simonas et Giulia en pleine interview.
Une question préliminaire : avez-vous une opinion sur la démocratie participative et délibérative ?
« Je suis partagé à propos de la démocratie participative et délibérative. J’ai fait mon doctorat en théorie politique à une époque où les notions de démocratie délibérative étaient souvent un peu naïves, cette idée de rassembler les gens, de s’asseoir autour d’une table et de discuter les uns avec les autres, et que le résultat de ces délibérations aurait abouti à la préférence normale exacte de la population. Je trouvais cela irréaliste. À l’ère du populisme, nous avons commencé à réaliser que la délibération publique est beaucoup plus chaotique et conduirait souvent à des résultats qui peuvent être assez inconfortables pour ceux qui ont tendance à promouvoir l’idée de la démocratie délibérative.
D’autre part, l’une des promesses fondamentales de notre système politique est de traduire les opinions populaires en politiques publiques, et je pense que l’une des raisons pour lesquelles les populistes ont prospéré ces dernières années est qu’il existe un véritable déficit démocratique, nous avons échoué à écouter ce que veulent les gens. De plus, plus j’ai passé de temps à écouter des groupes de discussion et à examiner des sondages d’opinion, plus je suis devenu optimiste, notamment en ce qui concerne les attitudes des citoyens dans les pays européens et en Amérique du Nord (qui sont l’objet de mes recherches). Le résultat n’était pas toujours en accord avec mes préférences, mais la plupart des citoyens sont des êtres humains décents. Ils veulent le meilleur pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs concitoyens. C’est pourquoi je suis totalement en faveur de la création de nouvelles formes de démocratie participative et délibérative, en commençant par le niveau local et régional. »
« Je suis partagé à propos de la démocratie participative et délibérative […] je pense que l’une des raisons pour lesquelles les populistes ont prospéré ces dernières années est qu’il existe un véritable déficit démocratique, nous avons échoué à écouter ce que veulent les gens. »
Yascha Mounk
Dans votre livre, vous utilisez une métaphore des parcs publics. Dans notre vision, la démocratie délibérative est une version institutionnalisée des parcs publics. Ce sont des endroits où l’on essaie de rassembler de nombreuses personnes différentes, et même si votre image repose sur la spontanéité et la liberté de participer, pensez-vous qu’il y ait une place pour cette institutionnalisation et pensez-vous que les gens accepteraient ?
« Je pense que la clé réside avant de parler d’institutionnalisation, dans la confiance publique et la cohésion sociale. Ma métaphore des parcs publics met l’accent sur cet aspect : il y a une énorme différence entre les parcs publics et la délibération politique. Les gens viennent dans les parcs publics pour différentes raisons, comme promener leur chien, se promener avec leur partenaire, faire de l’exercice. En revanche, la délibération politique présuppose que les gens veulent parler de politique, ce qui est vrai pour un petit nombre de personnes, mais pas pour beaucoup d’autres qui ne s’intéressent pas autant à la politique. La démocratie délibérative doit être attentive au danger d’être capturée par cette minorité de personnes vraiment désireuses de parler de politique. »
Dans un passage du livre, vous avez souligné l’importance des initiatives de la société civile visant à rassembler les gens et à les encourager à sortir de leurs groupes ou tribus.
Pensez-vous que ce type d’initiative devrait uniquement viser à sensibiliser les citoyens ou que les citoyens, qui sont plus conscients grâce à ces formats, devraient également avoir davantage leur mot à dire dans les décisions qui les concernent ?
« Les citoyens devraient avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent, chaque fois que cela est possible. C’est le cœur même des valeurs démocratiques. Mais lorsque je parle du rôle de la société civile et de l’importance de créer des ponts entre les communautés, je parle principalement de se connecter avec les autres de manière générale, que ce soit par le biais de clubs de football, d’églises, de journées entre voisins, car ce sont des espaces où les gens se font des amis et construisent des réseaux sociaux. La condition préalable à une forme de solidarité politique est, avant tout, la confiance mutuelle. Souvent, les gens ne s’intéressent pas autant à la politique qu’à d’autres choses. Bien sûr, je pense que lorsque cela existe et que cela prospère, cela peut être combiné avec des formes plus explicites d’engagement politique. Je ne suis pas sûr que vous souhaitiez réunir des personnes de croyances et de milieux très différents et leur dire : « asseyez-vous ensemble et parlez de politique », cela conduirait rapidement à des conflits, des reproches mutuels, et ainsi de suite. Mais si vous les amenez à coopérer autour d’un objectif commun, ce travail commun fournira la base pour partager leurs préoccupations, leurs peurs, leurs espoirs, et construire une forme de solidarité politique. En d’autres termes, la coopération précède la délibération politique. »
Selon vous, à quoi devrait ressembler un format de démocratie délibérative et participative pour être efficace dans des démocraties diverses ?
« Le principal problème de presque tous les formats de démocratie délibérative est qu’ils n’ont pas d’autorité formelle, et donc ils finissent par être purement consultatifs. Lorsque leurs résultats sont en quelque sorte alignés sur les pouvoirs de décision hiérarchiques et légaux, ils sont écoutés, mais lorsqu’ils vont à l’encontre de ces pouvoirs, ils peuvent être ignorés, ce qui crée bien sûr des frustrations et montre à quel point ces formats peuvent être une illusion d’efficacité. Afin de donner plus d’autorité formelle à ce type de mécanisme, il faudrait s’assurer au moins qu’ils représentent l’ensemble de la population. C’est quelque chose qui s’est produit, par exemple, avec l’assemblée citoyenne sur le référendum sur l’avortement en Irlande en 2018.
Je réfléchis toujours au problème politique fondamental des États-Unis, qui est l’un des problèmes politiques fondamentaux du monde démocratique, à savoir le système des primaires américaines. Une énorme majorité d’Américains n’aime pas Donald Trump, mais environ 15 % l’apprécient vraiment, et cela suffit pour qu’il exerce un contrôle très ferme sur le Parti républicain. Il y a donc quelque chose de vraiment dangereux dans les mécanismes de participation démocratique dans lesquels 10 à 15 % de la population peuvent l’emporter sur le reste. Les primaires ne reflètent pas nécessairement mieux les opinions réelles du public que ce que les mécanismes traditionnels peuvent faire, comme les délégués des partis politiques européens qui impliquent en réalité 0,1 % de la population. Pourtant, depuis leur institutionnalisation dans les années 1960, elles sont perçues comme assez représentatives parce que pratiquement tout le monde peut s’inscrire pour voter.
J’aimerais avoir des systèmes de démocratie participative et délibérative dans lesquels 50, 60, voire 70 % de la population participe. Je suis suffisamment démocrate pour croire que la plupart des gens sont dignes de confiance et raisonnables, et que s’ils sont placés dans de bonnes conditions de dialogue et d’échange, ils peuvent en réalité aboutir à de très bons résultats et décisions. Cependant, je suis très sceptique à l’égard des mécanismes de démocratie participative qui se félicitent de la participation de 10, 5, voire 3 % de la population, car ceux-ci ne représentent pas l’opinion publique dans son ensemble. Ils reflètent souvent les souhaits de divers types de militants ou d’extrémistes idéologiques qui utilisent ces formats pour prétendre que leur vision est partagée par la grande majorité de la population. »
Une dernière question concerne la technologie. Vous n’abordez pas ce sujet dans votre livre, mais la présence de la technologie est si profondément ancrée dans notre vie quotidienne qu’elle façonne inévitablement notre expérience de l’espace civique.
Quel rôle la technologie doit-elle jouer dans une transition vers un nouveau paradigme démocratique où plus de personnes sont impliquées ? Aujourd’hui, nous avons les moyens d’écouter davantage les gens, de recueillir leurs commentaires et d’agir en conséquence dans une certaine mesure. La technologie ne doit pas seulement être une économie de données qui s’approprie les données des gens et favorise la polarisation, elle peut être un moyen puissant de responsabiliser réellement les individus. Pensez-vous qu’il devrait y avoir un effort plus important de la part des institutions pour faciliter les échanges d’informations et d’opinions numériques afin de construire une société plus constructive ?
« Bien sûr, la technologie joue un rôle majeur. Je pense que ce rôle s’étale sur trois niveaux d’action.
Digitalisation des services publics → Les États font certainement de grands efforts en matière de numérisation, et ils continueront à le faire. Cela inclut les services aux citoyens, en étant plus réceptifs aux besoins des citoyens.
Internet en tant que forum public pour débattre des idées → Cela existe déjà de manière très puissante, mais cela se présente souvent sous une forme profondément dysfonctionnelle (Tiktok, contrôlé par un pays non démocratique, Twitter, dont l’algorithme encourage les formes conflictuelles d’échange et transforme les discussions sur des questions publiques importantes en une sorte de conflit de gladiateurs entre des adversaires qui s’insultent). Je ne pense pas que l’État puisse ou doive remplacer ces forums. Imaginez que la France lance un concurrent de Facebook : même si c’était possible et que la plupart des gens s’y inscriraient, il n’est pas clair pour moi que ce soit une très bonne idée de laisser un gouvernement avoir autant de pouvoir et de contrôle sur l’environnement virtuel où nous échangeons des idées. Dans ce domaine, il est nécessaire d’apporter un certain nombre de changements, introduits par ces entreprises privées et peut-être soutenus par des formes de réglementation, mais réellement demandés par les utilisateurs. Je pense que ce n’est que lorsque les gens commenceront à se déconnecter en masse des plateformes de médias sociaux conflictuelles que les choses vont changer. J’espère voir ce que Elon Musk a promis mais n’a pas encore réalisé, à savoir maximiser les minutes d’utilisation non regrettées sur les plateformes, c’est-à-dire le jour où gens ne regretteront pas d’avoir passé des heures à faire défiler leur fil d’actualités seulement pour s’énerver contre des inconnus.
Technologies pour les délibérations publiques → Il existe en effet une question de savoir quels outils choisir pour soutenir les processus délibératifs et participatifs qui ont réellement l’autorité de consulter et de décider, par exemple dans le cas du budget participatif ou du plan de développement local. Mais à mon avis, cela reste un élément secondaire par rapport aux questions plus générales sur la façon dont les dynamiques du discours public sont déterminées par la forme des plateformes de médias sociaux.
Nous continuons de croire que la démocratie participative et délibérative peut jouer un rôle important dans la transformation de notre société en un espace plus serein, plus émancipateur et plus inclusif pour tous les citoyens. Cependant, le professeur Mounk était très convaincant en transmettant l’idée que la construction de nouvelles formes de cohésion sociale et de confiance mutuelle, non nécessairement au sein du débat politique, mais dans un sens plus large qui englobe la vie quotidienne des gens, est un objectif prioritaire pour faire prospérer nos démocraties à l’ère de la diversité culturelle et de l’hyperconnexion technologique. »
Yascha Mounk a grandi en Allemagne et est maintenant un citoyen américain naturalisé. Il est titulaire d’un doctorat en théorie politique de l’université de Harvard et enseigne en tant que professeur associé à l’université Johns Hopkins. Son livre « Le peuple contre la démocratie », publié en 2018, l’a rendu célèbre dans le monde entier. Son dernier livre, abordé dans cette interview, « La grande expérience », a été publié en 2022. Nous recommandons vivement ce livre pour son analyse efficace et ses recommandations politiques claires mais très perspicaces. Nous tenons à remercier le professeur Mounk pour le temps qu’il nous a accordé.
Le droit de pétition – ou droit d’interpellation – a fait un retour en force depuis un peu plus de 20 ans avec des plateformes numériques dédiées, comme Avaaz ou Change.org. Depuis la fin des années 1990, le recueil de pétitions est devenu le premier usage participatif en ligne en volume, mais aujourd’hui, Decidim permet d’aller plus loin. Ce logiciel open source permet de mettre en pratique le droit d’interpellation à toutes les échelles grâce à un module intégré dont la robustesse a été éprouvée par de grandes institutions comme le Sénat et l’Assemblée nationale et, depuis peu, par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Droit d’interpellation, de quoi parle-t-on ?
Le droit d’interpellation est un mécanisme politique et/ou institutionnel qui désigne la possibilité de faire valoir une demande ou une revendication à une autorité ou une institution, la plupart du temps à travers un texte, comme la pétition, mais également à travers d’autres types de communications. Ce droit ne suppose pas le devoir de l’autorité ou de l’institution d’y répondre, mais y incite fortement dans une démocratie moderne. En outre, son intérêt réside dans le fait qu’il constitue un cadre permettant une sollicitation des représentés vers les représentants, alors que les démarches participatives classiques sont mises en œuvre par les représentants pour les représentés. Il peut s’exercer à deux niveaux.
Le premier niveau est institutionnel
Au Parlement, où les parlementaires peuvent interpeller le Gouvernement. Dans ce cadre, l’interpellation est souvent suivie d’un débat et d’un vote.
Le second niveau est civique
Les citoyens et citoyennes peuvent interpeller les responsables des institutions politiques. Ce dernier cadre, dans un régime démocratique, induit que les responsables s’engagent à répondre à l’interpellation que leur ont adressée les populations, qu’elles soient locales, nationales ou internationales, sous certaines conditions, comme par exemple le nombre de signatures, le plus souvent recueillies dans un délai imparti. A ce titre, ce droit apparaît comme un mécanisme appartenant à la « boîte à outils » de la démocratie directe.
Le droit d’interpellation en France, un droit qui vient de loin
Bien que la période de la Révolution française foisonne de pétitions, l’interpellation apparaît sous la Monarchie de Juillet (1830 – 1848). Le personnage principal de ce progrès politique est le député François Mauguin, aux orientations libérales et considéré comme le « père de l’interpellation », s’inspirant lui-même d’une tradition britannique très ancienne. Codifié par le règlement de l’Assemblée nationale en 1848, aboli puis rétabli par Napoléon III, le droit d’interpellation a connu des fortunes diverses selon les régimes au XIXe siècle. Sous la IIIe République, le droit d’interpellation s’ancre dans le droit français, laissant la possibilité aux parlementaires d’interpeller le gouvernement ou un membre du gouvernement. On le voit, c’est donc uniquement dans le cadre parlementaire que le droit d’interpellation est codifié et mis en œuvre. Le régime actuel de la Ve République, à la coloration présidentialiste, prévoit néanmoins des possibilités pour les parlementaires comme les Questions au Gouvernement ou le dépôt de propositions de loi sur des temps dédiés du calendrier parlementaire.
RIC ET RIP, déclinaisons du droit d’interpellation ?
En 2018, le mouvement des Gilets Jaunes, à travers la revendication du RIC – référendum d’initiative citoyenne porté par Priscilla Ludosky – peut être considéré comme une déclinaison du droit d’interpellation. A l’occasion des élections municipales de 2020, plusieurs majorités locales ont mis en œuvre ce type de dispositifs dans toute la France, en appelant en renfort les outils numériques.
Le RIP – Référendum d’Initiative Partagée – quant à lui, est un mécanisme encadré par la loi et qui relève également du droit d’interpellation. Il a été activé en 2019, dans le cadre du projet de privatisation de l’entreprise Aéroport de Paris, sans pour autant donner lieu à un référendum. Le Conseil Constitutionnel a émis de nombreuses critiques à propos du RIP, dont les contraintes (ergonomie du site web, seuil de signatures,…) lui semblent trop importantes pour aboutir.
Grâce à ces nouveaux outils justement, nombreux sont les citoyennes et citoyens qui souhaitent exercer ou pouvoir exercer leur droit d’interpellation. Les institutions parlementaires se sont saisies des possibilités. L’Assemblée nationale et le Sénat sont aujourd’hui tous les deux équipés de plateformes de pétitions à destination des citoyens souhaitant interpeller les parlementaires sur tous les sujets. Le CESE fait de même et nous l’accompagnons dans la mise en ligne d’une plateforme d’interpellation citoyenne qui verra le jour en avril 2023.
Exemple contemporain du droit d’interpellation – le cas du Conseil économique, social et environnemental
Après avoir évoqué le projet à plusieurs reprises au cours des dernières années, le Conseil économique, social et environnemental se dote d’une plateforme numérique simplifiée de pétitions citoyennes. Car de 2008 à 2021, le CESE pouvait déjà être saisi par voie de pétition citoyenne pour toute question à caractère économique, social ou environnemental, mais les chances de voir sa pétition recueillir le nombre de signatures suffisantes étaient minces. Le seuil à atteindre était de 500 000 signatures… sous format papier !
Pensé pour être un « acteur de premier plan de la vie démocratique française », le Conseil économique, social et environnemental a vu son champ d’action en matière de participation citoyenne être étendu par la loi organique de 2021. Depuis cette date, le seuil des signatures est ramené à 150 000 noms, l’âge minimum pour initier ou signer une pétition est abaissé à 16 ans et le format numérique est désormais recevable.
Pour permettre la digitalisation de ce droit, le CESE a fait appel une nouvelle fois à Open Source Politics pour l’accompagner dans la mise en place d’une plateforme participative. Depuis le 12 mai 2023, la plateforme d’e-pétition du Conseil est officiellement ouverte au public. Toute l’équipe d’Open Source Politics est ravie de vous présenter l’instance www.lecese.fr/participation-citoyenne sur laquelle nous avons travaillé ces dernières semaines.
L’organisateur de la Convention Citoyenne pour le Climat est habitué aux démarches participatives. Depuis 2018, il a adopté six travaux issus d’une méthodologie de travail qui intègre à la fois l’expertise de la société civile organisée et la parole citoyenne. En outre, il a mis en place un dispositif de veille active des pétitions sur les plateformes en ligne. Si le Conseil économique, social et environnemental (CESE) observe l’émergence d’un sujet relevant de ses responsabilités fondamentales, il peut s’auto-saisir de la problématique soulevée par la ou les pétitions identifiées sur ce sujet.
« Avec l’association de citoyens à ses travaux, la constitution de conventions citoyennes, et maintenant la possibilité d’être saisi par voie de pétition, le CESE dispose de l’expertise, l’expérience et des outils pour faire résonner la parole citoyenne utilement aux côtés de celle des organisations de la société civile. »
Thierry Beaudet, Président du CESE
Et au niveau local, pourquoi est-il aussi important de favoriser la mise en place du droit d’interpellation ?
Plusieurs arguments en faveur de la mise en place du droit d’interpellation s’ancrent aujourd’hui dans le débat public, retenons en trois.
1 Pour participer à l’équilibre institutionnel local
Il s’agit d’un dispositif participant à l’équilibre institutionnel local. En effet, les dispositifs participatifs, numériques ou non, sont proposés et déployés par les collectivités, de l’institution vers les populations. Un droit d’interpellation local permet de contrebalancer le rapport de force, des citoyens vers l’institution.
2 Pour développer le pouvoir d’agir des populations
Le droit d’interpellation peut améliorer la visibilité accordée à des problématiques mal ou pas identifiées par les élus locaux et les agents des collectivités. Des dérives sont possibles comme le nymbisme, de l’expression anglaise « Not In My BackYard » (pas dans mon jardin), mais la possibilité pour les citoyens et citoyennes de participer à l’établissement des priorités politiques s’avère une piste intéressante pour renforcer le tissu démocratique local.
3 Pour ouvrir la participation à la vie publique locale
Enfin, la simplicité des formats autorisés par l’interpellation, en acceptant le principe d’une expression « directe », élargit potentiellement le nombre de personnes qui peuvent s’inscrire dans la vie publique locale et engager le dialogue avec les élu·e·s et les fonctionnaires.
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