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Cette crise politique de long terme s’est révélée après la crise économique et financière de 2008, et lui est directement liée. Ainsi, des millions de gens mobilisés contre cette crise n’ont pas simplement demandé une vraie démocratie, ils l’expérimentent et la construisent réellement. L’étape-clé de ce processus est le mouvement-réseau du 15M. C’est dans un contexte d’hypermédiation technologique que les TIC, utilisées dans les années 80 et 90 pour l’accélération des flux financiers et de la mondialisation (Castells, 1996), sont devenues des espaces et des outils cruciaux en faveur d’une réappropriation multipolaire de la politique ainsi que de l’expérimentation démocratique (Martinet Ros et al., 2015).
Après quatre ans de nombreux succès et échecs, de nouvelles initiatives politiques citoyennes ont réussi en mai 2015 à prendre le pouvoir dans les principales villes espagnoles, dont Barcelone. De fait, elles se plaçaient dans la continuité de pays comme l’Islande, où la crise économique a entraîné une période de réappropriation citoyenne des institutions et d’innovation démocratie fertile, basées sur une utilisation intensive et créative des TIC.
Depuis le 15M, la plupart des expérimentations visant à l’introduction de nouvelles formes de démocratie participative et délibérative (Barber, 1984 ; Habermas, 1994, 1996 ; Della Porta 2013) ont utilisé la technologie comme intermédiaire. Comme on peut le constater à partir du cas islandais (et d’autres, comme l’exemple finlandais), les processus de démocratisation tels que la mobilisation citoyenne et la prise de pouvoir demande une coordination techno-politique (Rodotà 1997 ; Martinet Ros et al., 2015) pour atteindre une profondeur et une diversité maximales. La technopolitique émerge de la politisation de technologies et du ré-assemblage technologique de la politique aussi bien que du co-développement et de la co-production des technologies.
La forme que revêtent ces délibérations et participations techno-politiques diffère ; les pratiques numériques et présentielles, les espaces et les processus se connectent et se nourrissent mutuellement sur plusieurs niveaux. Ces dispositifs participatifs visent à l’augmentation du nombre, de la variété et de la parité des individus qui prennent part au gouvernement commun de la ville, étendant et enrichissant du même coup les zones, formes et périodes dans lesquelles ils se produisent et aidant ainsi à l’amélioration de l’intelligence collective (Levy, 1997), capable de se confronter à la complexité de la vie urbaine contemporaine. La technopolitique doit pallier les nombreuses limites de ce qui a été appelé la « démocratie numérique » (Hindman, 2008) en commençant par se libérer elle-même des récits « techno-centrés » et « techno-optimistes » autour de la participation aidée par le numérique.
De nouveaux dispositifs participatifs sont en cours de construction dans un contexte plein d’opportunités quoique périlleux. Le programme de gouvernement de 2015 et le Plan d’Action Municipal (PAM) 2016–2019 établis pour la ville de Barcelone donnent la part belle à la participation et plus spécifiquement à l’innovation et au développement de nouveaux modèles de participation. Le PAM, dont la construction a rassemblé des milliers de personnes, correspond à une demande sociale équivoque appelant à une profonde remise en cause du système démocratique et des mécanismes de participation.
Cependant, cette dynamique survient dans un contexte défini par : a) l’exclusion sociale, politique et économique de larges parts de la population ; b) des difficultés d’accès à la participation de plus en plus importantes, résultant de la situation de crise économique ; c) la crise de légitimité et d’efficacité du régime de démocratie représentative et des autorités publiques ; d) l’immense dépendance technologique vis-à-vis d’infrastructures et de services privés ; e) un contexte politique et législatif d’opposition à la démocratie directe, à l’indépendance sociale et à la souveraineté territoriale ; f) un désavantage institutionnel abyssal quant à la compréhension des complexités sociales à l’aide de techniques d’analyse des données comportementales et de modèles que les grandes entreprises technologiques et les services numériques possèdent.
Contrôle des données et infrastructures numériques pour la démocratie et la participation citoyenne
Dans un contexte de nouvelles configurations du capitalisme informationnel (Castells, 1996), souvent appelé « capitalisme de la donnée » (Lohr, 2015 ; Morozov, 2015) ou « capitalisme de surveillance » (Zuboff, 2015), les nouvelles infrastructures numériques de la démocratie courent le risque de contribuer à des dynamiques contraires aux principes de vie privée et de souveraineté technologique.
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