Retour sur l’événement du 4 avril organisé par Open Source Politics. Cet après-midi de rencontres et d’échanges a permis de mettre en dialogue une partie de l’écosystème de la participation citoyenne. Entre retours d’expérience, découverte de nouveaux outils et une conférence sur l’avenir de la démocratie numérique, les échanges croisés étaient riches et denses. Afin que toutes et tous puissent en bénéficier, nous vous proposons de revenir sur la première table ronde intitulée : « Regards croisés : innovations démocratiques et initiatives de terrain ».
Depuis sa création, Open Source Politics accompagne en premier lieu des démarches ancrées à l’échelle locale (plus de 80 communes) mais est également amenée à prendre part à la mise en place d’initiatives participatives aux enjeux nationaux ou internationaux telles que la Conférence sur le Futur de l’Europe, le réseau Nets4dem ou encore la plateforme de pétitions du Sénat. Ainsi, c’est à l’image du travail d’Open Source Politics à ces différentes échelles que l’enjeu de cette première table ronde est d’offrir une double perspective sur les initiatives participatives actuelles en essayant de faire dialoguer l’implémentation de démarches locales et globales.
Perspectives locales et mondiales sur les initiatives participatives
Ce premier temps d’échange, animé par Bertille Mazari, directrice conseil chez Open Source Politics, a réuni deux actrices de premier plan, Claudia Chwalisz et Louise Guillot.
Après avoir travaillé pour une plateforme de recherche Design & Democracy, puis pour l’OCDE, Claudia Chwalisz a fondé et dirige DemocracyNext, un institut international de recherche et d’action qui œuvre pour un transfert des pouvoirs politiques et législatifs vers de nouvelles institutions démocratiques et participatives basées sur de la représentation par tirage au sort, et de la délibération telles que les assemblées citoyennes.
Louise Guillot, quant à elle, a d’abord travaillé à la 27e Région, think & do tank de la transformation publique où elle a notamment pu se consacrer aux questions de la résilience en période de crise et de la place des communs territoriaux. Louise Guillot est actuellement conseillère en transformation publique et responsable de la mission participation citoyenne à la ville de Marseille. Elle est notamment chargée de la stratégie et de l’outillage de la cité phocéenne en matière de participation citoyenne qui vient de se lancer activement dans la construction d’un continuum démocratique.
Un changement structurel et systémique par la délibération citoyenne
Après avoir retracé son parcours, Claudia Chwalisz a présenté les missions majeures auxquelles elle prend part et défend au sein de DemocracyNext en exposant le fait que les institutions démocratiques n’ont pas seulement besoin de nouvelles politiques publiques pour résoudre les problèmes actuels, mais aussi de changer la manière de prendre les décisions pour trouver des compromis et légitimer les décisions prises. Elle défend le fait que ce changement repose sur l’articulation du tirage au sort et de la délibération qui peuvent prendre essence dans les assemblées citoyennes mais pas seulement.
Les assemblées citoyennes, une nouvelle forme de représentation démocratique ?
Face aux enjeux auxquels font face les systèmes de gouvernance dans la résolution de problèmes urgents de la société et de confiance entre les citoyens et les gouvernements, les assemblées citoyennes représentent une opportunité de renouveau démocratique. Elles instaurent des espaces démocratiques où les citoyens peuvent aborder la complexité des enjeux politiques, s’écouter mutuellement et trouver un consensus. En créant ces conditions, elles contribuent à surmonter la polarisation et à renforcer la cohésion sociale. C’est en se basant sur l’intelligence collective de la société dans toutes ses formes d’hétérogénéité que l’assemblée citoyenne parvient à des propositions potentiellement plus pertinentes que celles issues des processus institutionnels habituels. Ces assemblées sont parfois appelées jurys, panels ou conseils de citoyens, en fonction de leur taille et du pays où elles se déroulent.
De la nécessité du tirage au sort
Une assemblée citoyenne est la réunion d’un groupe de personnes tirées au sort et représentative de la communauté dont elles font partie. Ce groupe va prendre part à ce processus composé de différentes phases : l’apprentissage, le débat, la collaboration qui conduisent à des phases de délibération afin de s’accorder sur les différentes thématiques abordées et d’aboutir à la formulation de recommandations collectives. Ces recommandations sont alors adressées aux responsables institutionnels. Claudia Chwalisz souligne la nécessité du tirage au sort dans la mise en place d’un tel processus participatif, en effet, son utilisation permet d’inclure une plus large variété de personnes qui seraient alors rémunérées pour leur participation citoyenne. La combinaison de ces deux éléments permettrait de réduire les barrières à la participation qui peuvent être de caractère social ou matériel. De plus, cela permettrait de tendre vers une représentation de la société qui soit plus juste. Une vigilance doit néanmoins être apportée pour éviter l’écueil souvent rencontré, que des personnes de différentes catégories socio-professionnelles et classes sociales se sentent être représentantes de ces groupes. Il faudrait davantage qu’elles soient considérées comme des personnes à part entière sans créer de distinction, séparation ou clivage.
Des assemblées citoyennes qui ont fait leurs preuves
Claudia Chwalisz fait part du fait que les assemblées citoyennes ont été éprouvées et leur utilité reconnue dans le contexte moderne. Que ce soit à l’échelle locale, régionale, nationale et internationale, cet outil a été utilisé des centaines de fois. On peut ici penser à la Conférence sur le Futur de l’Europe ou l’assemblée citoyenne de Nancy par exemple. Ce dispositif en plein essor depuis les années 2010 connaît une seconde vague qui tend à pérenniser ces instances comme l’assemblée citoyenne permanente sur le climat à Bruxelles ou l’assemblée citoyenne permanente de Paris. Claudia constate ainsi une volonté d’institutionnalisation de la démocratie délibérative qui permet aux citoyens ordinaires de délibérer pour produire une « opinion publique éclairée ». Elle soulève toutefois le besoin d’approches multiples dans ce changement de modalité de prise de décision qui ne doit pas être limité à la mise en place d’assemblées citoyennes. Dans le recueil sur la participation au sein de l’urbanisme, elle propose d’ailleurs 6 modalités de démocratisation : grand projet d’infrastructure, grand projet de développement urbain, plan de 10 ans, changement de réglementation autour de la participation citoyenne pour l’urbanisme, conseils de quartier, assemblée permanente. Chacune des villes pourrait avoir un point d’entrée parmi ces propositions.
L'inclusion d’une diversité de publics
La question de l’inclusion et la prise en compte de la participation citoyenne de personnes provenant de différentes catégories sociales est un enjeu prégnant dans tous les dispositifs mis en place. Il s’agit entre autres de l’un des enjeux primordiaux qu’a rencontré Louise Guillot dans la mise en place du premier budget participatif de la ville de Marseille.
Le printemps marseillais
L’émergence du printemps marseillais en 2020 a donné lieu à la structuration d’une instance de participation citoyenne au sein de la ville de Marseille avec une volonté forte de lier la mobilisation citoyenne aux enjeux politiques liés à la démocratie de manière générale et notamment à la question de l’abstention qui est présente est très disparate selon le territoire observé. La démocratie participative est ici mise en place dans une perspective majeure d’inclusion en essayant d’aller mobiliser les personnes qui ne sont pas habituellement amenées à participer, dépasser le « toujours les mêmes ». Le point particulier de ce premier budget participatif et dispositif structuré de la ville de Marseille est qu’il est dédié aux quartiers nord de la ville qui ont été délaissés par les différentes politiques publiques des trente dernières années. Le budget est de 500 000 euros par secteur même si le nombre d’habitants y est différent, chacun des habitants ou usagers de ces secteurs sont invités à déposer leurs propositions et voter pour des projets qui relèvent de la compétence municipale.
Contrer la non-participation
Louise Guillot nous a partagé le constat d’une forte disparité sur plusieurs pans sociaux. D’abord l’indice de jeunesse qui présente 4 fois plus de jeunes dans les quartiers nord que dans les quartiers sud de la ville, puis le taux de chômage qui atteint près du triple de la moyenne nationale et du double de la moyenne locale dans certains quartiers nord. Enfin, l’accès aux transports en commun dans les quartiers nord (métro, bus et tramway) est limité et précaire, ce qui isole davantage cette partie de la population. En dressant ces différents éléments on comprend que le public ciblé par ce dispositif n’est pas celui qui participe habituellement – à titre de repère Open Source Politics a publié un article explicitant les raisons de la non-participation citoyenne dans le cadre du premier numéro de notre revue annuelle OSP explore →
Création d’un parcours d’engagement
Dans ce contexte, afin de favoriser la mobilisation, le service participation de la ville de Marseille a engagé un processus d’aller-vers en prenant en compte la superficie conséquente de ces quartiers. Pour amorcer cette difficulté, la volonté est d’enclencher un parcours d’engagement en plusieurs étapes : dépôt d’idées, vote, suivi des réalisations.
De la théorie à la pratique…
Lors de la phase d’appel à idées, tous les habitant·es et usager·es des 2ème, 3ème, 13ème, 14ème, 15ème et 16ème arrondissements étaient invités à participer. Un lien fort a été créé avec l’éducation populaire pour mettre en place des dispositifs d’aller-vers à destination des adultes et enfants. Sur une période de deux mois, 2000 personnes ont été touchées par des rencontres en présentiel, il pouvait s’agir de porte-à-porte pour rencontrer des personnes, de cafés citoyens organisés dans les lieux propices, d’ateliers dédiés dans les centres sociaux ou encore dans des centres d’accueil de jour où l’avis des personnes a été récolté en tant que citoyennes en non comme personnes en situation de précarité. Enfin, des « villages » dans les lieux d’affluence tels que des centres commerciaux ou des places publiques ont été mis en place. Louise Guillot souligne le fait que la tenue de ces dispositifs dans les centres commerciaux a largement favorisé la participation en attirant un public habituellement éloigné des institutions.
en passant par le jeu 🎲
Quant à la mobilisation des enfants, deux journées réunissant 100 enfants ont été organisées au sein de centres aérés municipaux. Répartis en petits groupes et accompagnés de facilitateur·ices, les enfants ont été invités à jouer autour d’un jeu de plateau qui leur permettait d’aboutir à la proposition d’une idée pour le budget participatif. La tyrolienne a connu un fameux succès.
Finalement, la phase de dépôt d’idées a permis de recueillir 911 idées dont 70 % proviennent des ateliers en présentiel et les autres 30 % de la plateforme numérique de participation citoyenne Decidim. Ainsi, c’est par une réelle combinaison de ces deux médias que la participation marseillaise tend vers une participation davantage inclusive.
Vers des processus participatifs technologiques ?
Sur cette question de l’utilisation d’une ressource technologique dans la participation citoyenne, Claudia Chwalisz nous a fait part de l’initiative qu’elle mène au sein de DemocracyNext en partenariat avec le MIT Centre for Constructive Communication, les “Tech-Enhanced Citizens’ Assemblies”. C’est à partir du modèle éprouvé des assemblées citoyennes que ce laboratoire pop-up mène une recherche sur l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer les trois phases majeures de ce processus : la préparation de l’assemblée, les échanges au cours de l’assemblée et le suivi post-assemblée. Il s’agirait ici d’améliorer aussi bien l’expérience des gens participant à l’assemblée que la confiance de la population dans l’assemblée en tant qu’entité. Elles seraient renforcées grâce à des outils alimentés par l’intelligence artificielle. Claudia Chwalisz précise que la philosophie de cette recherche réside dans le fait que les processus participatifs technologiques n’ont pas visé à être présentés comme un solutionnisme numérique qui viendrait des échanges en présentiel. De la même manière que Louise Guillot a combiné une plateforme numérique à de la participation en présentiel, Claudia Chwalisz défend une nécessaire complémentarité de ces outils.
Pour aller plus loin
Le prochain article, de cette série dédiée à notre événement du 4 avril, reviendra sur les enjeux soulevés par les nouvelles avancées techniques liée à l’interopérabilité des données des plateformes de participation citoyenne.
En attendant vous pouvez retrouver notre premier épisode ↓
L’IA : une chance pour la démocratie participative numérique ?
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