Comment nous avons co-construit une Agora permanente à Nanterre ?

Comment nous avons co-construit une Agora permanente à Nanterre ?

Virgile Deville et Alain Buchotte nous racontent la collaboration d’Open Source Politics avec la mairie de Nanterre pour créer la plateforme de consultation de la ville : participez.nanterre.fr.

Comment s’est établi le contact avec la mairie de Nanterre ?

Virgile Deville : À l’époque, mi-2015, nous venions de créer l’association DemocracyOS France et c’est avec Pierre-Louis Rolle que le contact s’est établi. Il était alors coordinateur des projets numériques et citoyens à la Direction de la Vie Citoyenne de Nanterre. Cette direction gère un tiers-lieu municipal, l’Agora, maison des initiatives citoyennes, où l’on trouve un espace public numérique, un espace de conférences/débats/projections, une radio citoyenne et un jardin partagé. Pierre-Louis Rolle, qui participait à un groupe de travail sur le renouvellement de la ville participative et des outils de concertation, a dans un premier temps contacté DemocracyOS, dont les membres l’ont redirigé vers DemocracyOS. C’est comme cela que lui et moi nous sommes rencontrés — pour l’anecdote, nous avons découvert que nous étions presque voisins — et avons commencé à travailler ensemble. C’est de là qu’a émergé l’idée d’une Agora permanente, un “tiers-lieu connecté de l’expression citoyenne”.

Quel était leur besoin ?

V.D. : La commande du maire Patrick Jarry et d’Hassan Hmani, adjoint au maire à la ville participative, consistait à développer un outil numérique de concertation permettant d’élargir le public concerné, de rendre le processus plus inclusif et d’innover dans le domaine. Nanterre a une longue tradition de participation citoyenne. La ville a créé en 1977 les premiers conseils de quartiers et organise des concertations régulièrement. Toutefois, les personnes impliquées sont, comme partout, les mêmes depuis des années et les méthodes traditionnelles peinent à mobiliser les jeunes et les minorités. Nous sommes donc partis de la volonté politique municipale pour créer la plateforme adaptée, plutôt que d’arriver avec un outil tout fait à lui proposer. L’outil se devait d’être open source et de contenir plusieurs logiciels, afin que n’importe quel service de la mairie puisse créer une campagne de concertation en ligne en fonction de sa problématique. À terme, l’objectif est que l’outil soit mobilisable par la société civile.

Alain Buchotte : Au départ, il y avait tout de même l’idée qu’une instance de DemocracyOS serait une bonne base pour amorcer le virage numérique voulu par la mairie de Nanterre. Nous nous sommes vite rendus compte que l’outil standard ne serait pas suffisant, et qu’il devrait être amélioré par des fonctionnalités supplémentaires afin de supporter l’intégralité du contenu associé à la concertation, d’être transparent avec les habitants sur les règles de concertation et les informations sur le projet pour construire des contributions plus riches. Nous avons aussi senti chez Pierre-Louis Rolle une très grande motivation pour intégrer d’autres outils open source qu’il avait découvert à travers sa propre veille dans le domaine.

 

Pouvez-vous nous décrire la phase de construction de la plateforme ?

V.D. : Une fois le projet validé par le bureau municipal, nous avons commencé à travailler conjointement avec la mairie, sachant que le cahier des charges était à préciser. L’aspect incertain du livrable nous a dans un premier temps causé un peu d’inquiétude. Toutefois, l’équipe de l’Agora nous a soumis l’idée d’utiliser la semaine de l’innovation publique en novembre 2015 comme tremplin, en organisant un hackathon sur la ville participative. Nous avons rassemblé plus de 60 personnes, développeurs, élus, agents publics et citoyens sur les thèmes de l’open data, de la cartographie collaborative et de la consultation publique. Des étudiants ont aussi pris part à cet évènement pour participer à la rédaction de 60 pages de notes de compte-rendu contenant les retours des citoyens sur leur vision idéale de la plateforme. Cette étape de design collaboratif nous a permis d’établir un premier cahier des charges. Par la suite, nous avons réuni une équipe projet motrice. Nous avons commencé par imaginer la future concertation du quartier du Parc, un secteur de Nanterre engagé dans un plan de rénovation urbaine de plusieurs millions d’euros. Malgré une telle enveloppe budgétaire, un certain nombre d’éléments du projet restaient à définir et une concertation paraissait judicieuse pour réfléchir avec les citoyens. Il s’agissait donc vraiment d’une campagne de gestion de proximité.

Hackathon sur la ville participative (novembre 2015)

Pouvez-vous nous parler d’un évènement spécifique sur lequel la plateforme a été utilisée ?

V.D. : En janvier 2016, le maire a décidé de lancer la plateforme sur les Assises pour la ville, un événement rassemblant les citoyens de la ville à travers des assemblées, des débats, des réunions en appartements pour échanger sur l’évolution de la ville. C’était la première fois que les Assises avaient un pendant numérique. Le moment était bien choisi car, du fait de l’intégration de la ville dans la métropole, la mairie faisait face à une réduction budgétaire et donc une nécessité de redéfinir le projet de ville. Les élus et les citoyens se sont mobilisés et ont été plutôt convaincus par la démarche, d’autant plus que l’outil numérique a permis de garder trace des échanges durant les Assises, d’une manière inédite. Au final, ce sont plus de 1500 personnes qui ont pu s’approprier la plateforme rien que sur cet évènement, un très bon bêta test donc !

A.B. : Les Assises pour la ville nous ont donné l’opportunité de regarder comment nos outils numériques pouvaient coller au mode de récolte de contributions citoyennes déjà mis en œuvre. Cela nous a aussi obligé à développer des fonctionnalités supplémentaires (le module de contributions collectives notamment). Le processus des Assises nous a apporté un volume de contenu assez important, en termes de contributions. Il nous a permis de faire une utilisation réelle de notre plateforme. Les Assises ont été le moteur du développement du site.

Au niveau opérationnel, comment votre collaboration s’est-elle déroulée ?

V.D. : Nous étions presque incubés à l’Agora de Nanterre, j’y allais très souvent, notamment pendant les premiers mois. Il a fallu collaborer avec les différents services de la mairie et se former à la concertation pour produire un outil qui n’allait pas décevoir les attentes des citoyens. Tout cela a demandé du temps, et malgré des livrables préalables présentés en janvier 2016, on a dû mettre les bouchées doubles pour rendre une plateforme stable au mois de mars, qui était la date limite pour présenter notre première version. La semaine précédant le rendu a été éprouvante, mais nous sommes parvenus à un résultat satisfaisant puisque la ville l’a adopté et l’utilise encore à ce jour.

Virgile, Valentin et Anne-Gaël Chiche, responsable de l’Agora, en réunion à Nanterre — début 2016

A.B. : Pour ma part, j’étais moins présent sur place ; étant en charge de l’aspect technique, du développement, j’ai plus travaillé à distance. Notre mode de fonctionnement était en permanence itératif, nous nous sommes lancés dedans à 150%. D’un point de vue logistique ce n’est pas forcément une bonne chose, mais ce type d’expérience où l’on ne travaille presque que sur un seul projet pendant plusieurs mois reste très formateur.

Comment fonctionnait la première version de la plateforme ? Comment fonctionne la seconde ?

V.D. : La plateforme est composée de plusieurs outils qui permettent des fonctionnalités différentes :

Il est à noter qu’en l’occurrence, la gestion des concertations se fait sous un format de “campagnes”, c’est à dire que les services de la mairie qui mobilisent l’outil rassemblent les différentes consultations au sein d’un même dispositif global. Pour ce qui est de la seconde version, nous avons fait une mise à jour de la base technique, en passant de Drupal 7 à Drupal 8. Cela nous permet d’avoir plus de compatibilité entre les différents projets. La grande nouveauté c’est le module de cartographie collaborative, une fonctionnalité très intéressante car unique sur le marché. D’ailleurs, ce module pourra être testé sur la prochaine campagne de la plateforme : “La fibre pour tous à Nanterre” !

participez.nanterre.fr est la plateforme de consultation de la ville !

A.B. : Je dirais que la première version était un produit minimum viable présentant les fonctionnalités de base. Certaines ambitions initiales, comme la cartographie via Ushahidi n’ont pas pu se faire, faute de temps. Mais c’est une bonne chose au final car un an plus tard, nous sommes tellement montés en compétence (notamment sur Drupal) que le module de cartographie que comptera la seconde version sera construit directement sur la plateforme, plutôt qu’avec un outil supplémentaire.

Que retirez-vous de cette expérience à Nanterre ?

A.B. : Je pense que c’est très rare de pouvoir se lancer de cette manière. Cette expérience nous a permis de nous développer et sans ce projet nous n’aurions peut-être simplement pas pu poursuivre notre aventure. Elle nous a aussi poussé à créer l’entreprise Open Source Politics, qui jusque là n’était qu’un meetup, pour proposer un accompagnement professionnel aux institutions et entreprises engagées dans des concertations et poursuivre par ailleurs des activités bénévoles au sein de l’association DemocracyOS ????????. Nous avons aussi conscience que cette expérience nous a coûté, financièrement, dans le sens où nous ne l’avions pas vendu très cher et que nous y avons passé beaucoup de temps. Cet investissement était nécessaire pour entamer une démarche collaborative entre la mairie et nous. Nous ne pourrions plus suivre une telle méthodologie, mais ce fût tout de même une très grande chance car ce projet a apporté de premiers financements à l’association, qui à ce jour subsiste encore grâce à ces revenus.

Le hackathon “Coder la ville” a lancé notre collaboration de 18 mois avec la mairie de Nanterre !

V.D. : C’était une expérience spéciale parce que la mairie de Nanterre est la première institution à nous avoir fait confiance. Nous y avons appris qu’une concertation est un processus assez complexe, qui nécessite une ingénierie de la concertation spécifique pour déterminer la meilleure façon de problématiser le sujet : comment poser les bonnes questions, quel doit être le degré de l’engagement de la mairie par rapport aux retours des citoyens, quels sont les leviers de mobilisation etc. En plus de cela, la commande était très plaisante : nous n’avons pas construit un outil pour lui trouver un utilisateur mais nous sommes partis d’un besoin spécifique et nous avons créé un outil adapté. Cette expérience m’a aussi donné quelques idées sur les circonstances idéales dans lesquelles travailler : les meilleurs projets sont ceux que l’on peut construire avec un agent public motivé qui pousse le projet en interne. Ils permettent de créer des dispositifs de participation qui sont à la hauteur des attentes des citoyens parce que l’institution est sincère sur ce qu’elle va faire de leurs contributions. Je retiens aussi beaucoup l’aspect collaboratif : nous avons vraiment construit un outil ensemble et, alors que nous n’avions pas du tout le même statut, j’étais très souvent à Nanterre et je me sentais aussi responsabilisé qu’un agent de la ville. Puis il y a eu ce hackathon de la semaine de l’innovation publique, qui a préfiguré ce que nous avons fait par la suite au sein d’Open Democracy Now. Enfin, les Assises de la ville, qui nous ont permis de mettre autour de la table des agents publics du service de l’urbanisme, des développeurs, l’élu, les citoyens… Cette expérience a été un test très précieux pour appréhender les problématiques que l’on doit traiter en tant qu’entreprise de la civic tech.

Open Source Politics est une entreprise qui développe des plateformes de démocratie participative pour des acteurs publics, privés et associatifs. Contactez-nous si vous souhaitez vous engager dans un dispositif de concertationou un budget participatif utilisant des outils civic-tech !

Noe Jacomet (@NoeJcm)

@OpenSourcePol

Conseils de quartier 2.0 : nos 20 propositions

Conseils de quartier 2.0 : nos 20 propositions

20 propositions pour des conseils de quartier 2.0

L’engagement des citoyens progressera par la pratique démocratique concrète. Avec les associations CivicWise et Democracy OS France, nous nous sommes appliqués cette maxime en proposant au budget participatif de la Ville de Paris de dynamiser les conseils de quartier dans le 19e arrondissement. Notre projet n’a pas été sélectionné, malgré près de 500 votes réunis sur les 8 000 votants dans le 19e. Refusant de nous arrêter à cette déception, nous partageons les leçons que nous retenons de cet exercice et nos propositions pour la suite.

Le premier budget participatif au monde

Fer de lance des nouvelles interactions qu’Anne Hidalgo veut impulser avec les citoyens parisiens, le budget participatif est incontestablement un succès. Près de 93 000 participants cette année — sans compter les 66 000 enfants qui ont participé à la déclinaison dans les écoles — c’est 40 % de plus que l’an dernier et plus du double de la première édition lancée à l’automne 2014. Avec 100 millions d’euros d’investissements directement attribués par les habitants, dont un tiers à destination des quartiers populaires, les Parisiens disposent tout simplement du plus gros budget participatif au monde !

Année après année, la démarche s’approfondit. Limité à la sélection parmi des projets déjà dans les cartons de l’administration en 2014, le budget participatif répartit depuis 2015 les investissements entre des projets directement soumis par des habitants. Cette année, les associations pouvaient candidater et un véritable accompagnement a été organisé au printemps pour associer les porteurs de projets dès la phase d’évaluation par les services municipaux. Ce tamis administratif et collaboratif a fait ressortir les 600 projets soumis au vote parmi les 3 000 propositions déposées en ligne en février dernier.

Le dispositif semble attirer tous les publics : 13 000 votants habitent dans des quartiers populaires ; plus de 15 000 citoyens de moins de 30 ans ont voté en ligne ; le total légèrement supérieur de votes papier (47 000 contre 45 000 votes électroniques) laisse penser que les personnes plus âgées et/ou moins connectées ont également déposé leurs bulletins dans les urnes de nombreux espaces publics.

Dans ce contexte, faut-il conclure de notre résultat que ces citoyens, dans leur grande diversité, ne sont finalement pas si intéressés qu’on le dit par les outils et démarches civic-tech, qui peinent globalement à convaincre le grand public malgré une exposition médiatique grandissante ? Au-delà de notre projet de doter les conseils de quartier de méthodes d’intelligence collective et de plateformes participatives, il est à noter qu’aucun projet labellisé “Ville intelligente et numérique” n’a été retenu à l’échelle de tout Paris. A l’inverse, près de 50 % des projets lauréats concernent le cadre de vie et la propreté. Ce résultat, dans la lignée des premières éditions, pose la question de ce qui est comparable : à l’avenir, ne serait-il pas intéressant pour la diversité des projets soutenus que chaque votant ne dispose que d’un nombre limité de votes par catégorie ?

Nos 20 propositions pour des conseils de quartier 2.0

A l’image du budget participatif qui se perfectionne d’une année sur l’autre, la démocratie est un processus dynamique qui demande du temps pour parvenir à un nouvel équilibre. La période est paradoxale : la “crise démocratique” figure dans tous les discours alors que nos écosystèmes bouillonnent d’initiatives en ligne et hors ligne pour accompagner la transition vers un système et des pratiques politiques qui apportent plus de place et de sens aux citoyens. Rendus modestes par le chemin que nous avons à parcourir, mais porteurs de valeurs ambitieuses, nous adoptons au sein de CivicWise et Democracy OS France une approche locale, basée sur le concret et la coopération. Nous expérimentons à l’échelle de notre quartier, qui rayonne autour de la Place des Fêtes et de Volumes, l’espace de coworking où nous créons et travaillons au quotidien.

Nous avons débuté notre collaboration au premier trimestre 2016 en organisant deux “meetups” pour rassembler une cinquantaine d’habitants des environs. Ces deux ateliers créatifs nous ont permis de définir nos attentes collectives — que les conseils de quartier ne remplissent pas à l’heure actuelle — puis nos idées sur les activités, les méthodes décisionnelles et les supports numériques qu’il faudrait développer pour donner plus d’attractivité et d’impact à ces rendez-vous citoyens. Nous les avons ensuite comparées au fonctionnement existant des conseils de quartier en assistant à plusieurs séances. Nous avons synthétisé ces travaux dans une liste de 20 propositions qui ambitionnent de dynamiser l’engagement démocratique local en attirant des participants plus divers aux réunions, en développant de nouveaux formats débouchant sur de véritables décisions co-construites avec les citoyens et de nouveaux outils numériques adaptés.

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@Valentin Chaput

@OpenSourcePol

Des budgets participatifs inversés pour associer les citoyens aux décisions d’économie budgétaire

Des budgets participatifs inversés pour associer les citoyens aux décisions d’économie budgétaire

Des budgets participatifs inversés pour associer les citoyens aux décisions d’économie budgétaire

Une discussion avec Hugo Barthelemy, Mael Donnard et Valentin Chaput autour de l’idée d’accompagner des collectivités et leurs citoyens dans la réalisation de “budgets participatifs inversés” grâce à une formation, un suivi et un outil numérique favorisant la transparence.

Pouvez-vous résumer le contexte qui a donné naissance à cette idée ?

Hugo Barthelemy : L’idée est liée à un article d’Antoine Bezard, qui détaille la démarche de la ville de Loon-Plage dans le Nord. Cette collectivité devait réduire son budget de 300 000€. Pour ce faire, ils ont tiré au sort les citoyens qui ont ensuite été formés à comprendre le fonctionnement d’un budget municipal, puis à faire un choix sur les différentes dépenses à réduire. À la fin de ce processus, la ville a réussi à réduire de 325 000€ le budget initial, c’est à dire à dépasser l’objectif en atteignant un consensus ! Il y a un réel intérêt à faire participer les citoyens à ce type de démarches. Suite à cet article et aussi à notre travail avec Open Source Politics sur Consul, la plateforme libre de référence en matière de budgets participatifs, je me suis dit qu’il serait intéressant de créer un processus donnant aux citoyens la possibilité de débattre des budgets et de leurs ajustements : réductions des coûts, projets alternatifs, répartitions sur d’autres priorités etc. Il s’agirait à la fois d’un accompagnement physique à travers une démarche pédagogique, mais aussi d’un outil numérique qui permettrait de mieux visualiser les flux financiers liés au budget et de rendre le processus plus transparent. C’est un point important. La formation, l’accompagnement, l’initiative des propositions et le vote des décisions citoyennes sur la plateforme doivent être indépendants de la municipalité. En revanche, la collectivité doit jouer un rôle crucial d’évaluation des projets en particulier pour valider les aspects financiers et leur viabilité.

Quels sont les points forts de cette idée ?

Mael Donnard : La grande force de ce projet est l’implication directe des citoyens, dans le sens où les choix découlent de leurs idées et limitent donc la contestation. Comme dans toute campagne de consultation, cela permettrait de rendre la décision plus conforme aux attentes des habitants. C’est donc une démarche globale. D’ailleurs, la recherche de consensus sur des arbitrages budgétaires est une problématique qui dépasse les institutions publiques et concerne également le secteur privé, voire le foyer de chacun.

Valentin Chaput : La méthodologie est intéressante : pour l’instant les budgets participatifs consistent essentiellement à définir une partie des investissements d’une collectivité. Cela permet de faire participer les citoyens sur la création de nouvelles infrastructures mais pas de se confronter aux problèmes d’économies que beaucoup de collectivités territoriales rencontrent : on constate que l’État baisse chaque année ses dotations alors que les dépenses des collectivités — et les services associés — se sont sensiblement accrus depuis trente ans. Dès lors, l’arbitrage des réductions budgétaires est délicat et nécessite une réorganisation sur laquelle les citoyens ne sont pas directement consultés. Pourtant, les quelques expériences réalisées montrent que les initiatives inclusives arrivent à des résultats plus justes et mieux acceptés. Les choix faits dans ce type de processus sont éminemment politiques, voire idéologiques, et il est donc légitime que les citoyens soient impliqués. Pour nous, il y a d’abord un objectif d’explication de la démarche mais aussi, bien sûr, celui de donner de la visibilité aux budgets locaux, pour arriver à des choix transparents et réalistes. En plus de cet objectif de transparence que mentionnait Hugo, c’est aussi une bonne manière de responsabiliser les citoyens sur les problématiques de gestion des budgets locaux et de démystifier ces sujets.

Pouvez-vous définir les enjeux auxquels ce type de démarche sera confrontée ?

V.C. : Il y a un enjeu pédagogique évident, d’explication du fonctionnement du budget d’une collectivité publique. Cette démarche est souvent compliquée pour les villes, qui ont du mal à détailler à leurs citoyens où l’argent part, la différence entre dépenses de fonctionnement et d’investissement, entre les perspectives à court, moyen et long-terme etc. Il nous faut donc définir une méthodologie précise construite autour de supports d’information, d’ateliers collectifs et d’une plateforme de consultation.

M.D. : Nous anticipons quelques risques qu’il nous faudra éviter : ne pas pointer du doigt tel ou tel agent ou groupe d’agents publics, ne pas exposer des informations personnelles comme les niveaux de rémunérations. De manière générale, il faut que les participants soient représentatifs de la population. Pour s’assurer de cela on pourrait par exemple envisager de tirer les participants au sort. Enfin, un enjeu de taille concerne l’aspect inclusif : les thématiques économiques restent assez complexes et il faudra trouver le moyen de lutter contre l’auto-censure pour ne pas se priver de gens dont la contribution serait d’une grande valeur mais qui, par peur de ne pas être à la hauteur, n’oseraient pas participer.

H.B. : Cette démarche pédagogique passe par un enjeu de visualisation, afin de faire comprendre par la représentation graphique que, par exemple, supprimer des dépenses dans un secteur donné peut en engendrer de nouvelles dans un autre. Ce n’est pas évident à réaliser mais ça fait partie du travail de formation qui permettra aux citoyens de réaliser l’influence qu’une décision peut avoir sur une autre.

Quelles modalités pour de telles démarches ?

V.C. : Il nous faut créer un prototype dans une ou deux collectivités pilotes pour être accessibles à tout le monde. Pour la première année nous devons déterminer combien de personnes doivent faire partie de ce prototype. Il faut aussi que l’administration définisse les options budgétaires sur lesquelles la consultation sera effectuée, à moins que l’on parte sur une démarche où des citoyens sont sélectionnés et ont carte blanche pour faire leurs propositions. Se pose ensuite les questions de savoir comment sélectionner les participants, comment les former, comment faire en sorte que l’ensemble des citoyens aient accès à la plateforme et enfin comment arriver à un résultat qui puisse nourrir un conseil municipal. C’est un jeu de rôles pour des citoyens qui ont envie de comprendre ce qu’il se passe à l’intérieur d’une administration. Il faut donc à mon sens partir sur un dispositif resserré, avec des volontaires ou des citoyens tirés au sort que l’on accompagne pendant plusieurs mois au bout desquels ils remettront un rapport expliquant leurs préconisations concernant les secteurs nécessitant des réductions budgétaires au conseil municipal. En ce qui concerne les outils, la plateforme devra passer par une combinaison d’outil pédagogiques qui restent à définir, je pense par exemple au projet OpenBudget qui permet une visualisation des données budgétaires. Pour le vote en revanche, Consul est très adapté.

H.B. : Le choix des subventions à allouer peut-être un bon angle d’attaque pour les prototypes car c’est un domaine à la fois restreint, donc plus facile d’accès, mais qui gagnerait aussi à être plus transparent. Une autre idée peut être de faire une consultation préalable pour définir les règles précises avant de lancer un prototype. On peut aussi simplement laisser l’administration délimiter les options sur lesquelles les citoyens vont être amenés à se prononcer. Se pose alors la question de la sélection des citoyens impliqués dans la décision. À cet égard l’exemple du Conseil de la Nuit est intéressant : pour assurer la parité hommes-femmes, étaient installées une urne “femmes” et une urne “hommes” d’où l’on tirait un nom à tour de rôle, garantissant ainsi un tirage équitable. Concernant les sujets abordés, nous pourrions aussi imaginer collecter les avis des citoyens sur les recettes de la collectivité. Par exemple : “Faut-il une taxe d’habitation plus importante ?”. En ce qui concerne l’outil numérique, je pense que l’idéal serait un modèle similaire à la collaboration d’Open Source Politics avec la mairie de Nanterre pour créer la plateforme de participation de la ville. Il s’est agi d’une véritable démarche de co-construction et c’est le meilleur moyen d’aboutir à un résultat satisfaisant pour les collectivités car il répond plus précisément à leurs besoins et pour les citoyens car cela nous permet de penser l’outil en même temps qu’eux. Pour en revenir au prototype, j’imaginais un processus en deux étapes : une première phase de définition du prototype, puis une seconde où l’on teste ce sur quoi les citoyens sont tombés d’accord.

M.D. : À mon sens, le vote doit se faire sur une plateforme mais pour la phase de formation, sachant que c’est une étape-clé, celle-ci devrait probablement avoir lieu à travers des ateliers physiques car il est nécessaire de travailler avec des gens motivés et on a plus tendance à faire preuve d’abnégation lorsque l’on est physiquement confronté à un groupe. Je pense aussi qu’il faudrait limiter les choix de secteurs, afin d’éviter que les citoyens consultés se contentent de faire des réductions minimes sur chacun d’entre eux. Après tout, l’intérêt d’une telle démarche réside dans l’idée de pouvoir cerner précisément les thématiques qui tiennent à cœur aux citoyens. Sur la question sociologique qu’évoquait Hugo, et à propos du genre, on pourrait même imaginer des débats exclusivement féminins, masculins, puis enfin mixtes. Ce type d’expériences montre des résultats à forte variance et cela peut-être très intéressant.

Cet article est l’occasion pour nous de lancer un appel aux municipalités qui souhaiteraient réaliser un tel prototype de nous contacter. D’ailleurs, nous avons aussi candidaté sur la plateforme des budgets participatifs de la mairie de Paris, pour une première expérimentation dans le 19e arrondissement.

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