TICTeC 2025 : Quand la civic tech s’interroge sur l’avenir de la démocratie

TICTeC, la conférence de référence pour la civic tech

Le café d’accueil venait d’être installé dans le hall lumineux du Lamot Congress and Heritage Center de la paisible ville flamande de Mechelen. A peine les présentations d’usage et les considérations météorologiques évacuées, il était question, dès les premières minutes de rencontre ou de retrouvailles, de nos impuissantes inquiétudes face aux signes de recul démocratique et à la montée du fascisme relevés partout dans le monde. Dans son discours d’introduction quelques minutes plus tard, Louise Crow, directrice générale de l’organisation britannique mySociety qui organise depuis 10 ans, TICTEC, la conférence de référence sur les impacts des civic-tech, nous invitait à trouver collectivement des raisons de rester motivé·es dans un monde qui met chaque jour un peu plus à l’épreuve les principes qui fondent notre engagement. 

Photo de groupe des participantes et participants à la conférence TICTeC 2025

Retours d'expérience et quête d'optimisme

Open Source Politics avait déjà eu la chance, en 2017, de participer à une précédente édition de TICTeC à Taïpei. C’était il y a une éternité, dans une toute autre ambiance. Puisque ce rassemblement intranquille de 150 enthousiastes de la démocratie numérique, expert·es du sujet en provenance de tous les continents, prenait la tournure d’une joyeuse thérapie de groupe, la question ne pouvait être éludée : pouvons-nous garder ambition et optimisme quand on travaille et milite pour une démocratie numérique ouverte, inclusive et porteuse de changements politiques tangibles ? Ces deux jours d’ateliers et de keynotes nous ont apporté quelques pistes inédites ou renouvelées de réconfort, sans toutefois éclaircir totalement l’horizon. 

L'emprise des Big Tech et la vigilance nécessaire

L’invitée d’honneur Marietje Schaake, ancienne députée européenne aujourd’hui engagée au Cyber Policy Center de l’université de Stanford, enfonçait le clou d’entée. « Même s’il y a un écart entre les principes affichées et la pratique politique dans nos sociétés, il reste préférable de ne pas renoncer aux principes ». Selon elle, le coup d’Elon Musk et son DOGE n’est qu’une illustration d’un changement systémique contre la démocratie et l’État de droit, qui révèle l’évolution des Big tech et des intérêts financiers qui les soutiennent. Pour avoir surveillé de près le secteur des Iogiciels espion et de vidéosurveillance, Marietje Schaake rappelait la faiblesse et le perpétuel retard des institutions de régulation face à la capacité de certaines entreprises à mettre sur le marché des technologies sans se soucier de leur impact démocratique. Alors que la capitalisation boursière de Microsoft se rapproche du PIB de la France, et que les grandes entreprises affirment leur propre agenda géopolitique – de Google qui accepte de rebaptiser le Golfe du Mexique à Starlink qui se déploie en Ukraine mais pas en Crimée – les États européens sortent douloureusement d’une période de naïveté. Marietje Schaake nous invitait, dans ce moment de bascule historique, à aligner nos outils et usages avec les besoins de sécurité et de souveraineté nationale et européenne, malgré les réticences historiques des communautés promouvant les libertés numériques qui composaient l’essentiel de l’assistance. 

Marietje Schaake

« Même s'il y a un écart entre les principes affichées et la pratique politique dans nos sociétés, il reste préférable de ne pas renoncer aux principes »

La pérennisation des projets : un défi financier majeur

La crainte de manquer des financements nécessaires pour continuer d’opérer sereinement était l’autre point commun à de nombreux ateliers. De plus en plus d’associations, entreprises et programmes de recherche s’inquiètent de passer plus de temps à chercher des fonds en raréfaction rapide qu’à développer leurs projets et les porter sur le terrain. L’un des principaux intérêts de TICTeC est de réunir des activistes et entrepreneur·es d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Afrique, du monde anglo-saxon et d’Europe continentale. Nous ne le réalisons pas toujours sous nos latitudes, mais dans de nombreux pays, la civic tech est plus défensive que constructive. Elle se déploie alors contre des gouvernements autoritaires plutôt qu’en renfort des démarches de participation et de transparence institutionnelles. Dans de nombreux pays, dépendre de financements publics crée un conflit d’intérêt. S’en remettre aux financements philanthropiques apporte d’autres sources de fragilité. Pérenniser durablement les projets de lutte contre la désinformation, d’aide à la récupération de documents administratifs, d’éducation populaire et de développement de communs numériques est une priorité sectorielle pour qui s’intéresse au sujet car de nombreuses initiatives manquent d’oxygène. 

L'intelligence artificielle : un éléphant dans la pièce ?

Troisième point d’attention, the elephant in the room, la place relativement limitée, au regard de l’omniprésence médiatique des IAG, prise par l’intelligence artificielle dans nos discussions sur les solutions aux problèmes auxquels se confrontent les civic tech. Deux temps forts sur ce sujet : Eloïse Gabadou, alumni d’OSP (2019-2022), a présenté des travaux essentiels menés autour des audits sur les IA menés avec l’équipe du Civic Tech Field Guide, puis l’énergique Colin Megill, fondateur de Pol.is, a dévoilé en avant-première la seconde itération de son outil qui permettra de densifier l’analyse mathématique de millions d’interactions. Les autres points d’attention ont porté sur le volet critique, autour des batailles juridiques contre les LLM entraînés sur des données publiques et privées sans consentement collectif, de l’impact environnemental des modèles et centres de données et des faibles garanties sur la provenance des contenus numériques dont le but est de désinformer. 

Vers une vision européenne de la démocratie numérique

Open Source Politics intervenait lors du dernier atelier, au sein d’un panel animé par l’Association Civic Tech Europe (ACTE) aux côtés de Dembrane, GoVocal et Make.org. Ensemble, nous avons défendu le modèle de technologies européennes complémentaires et interopérables, permettant d’assurer tous les usages consultatifs et délibératifs, de l’aide à la facilitation et synthèse d’ateliers participatifs avec Dembrane (que nous sommes en passe déployer en France) aux consultations massives de plusieurs centaines de milliers de personnes chez Make.org en passant par la palette de fonctionnalités de Decidim. Dans la lignée de nos réflexions sur un data space de la démocratie, le modèle que nous voulons porter en Europe est celui d’un réseau d’acteurs connectés, capables de prendre du recul sur l’impact des technologies et orientés vers leur impact positif pour nos sociétés.  
 

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