Retour d’expérience sur la réussite du premier budget participatif de la RIVP

Une discussion menée par Noe Jacomet avec Fabienne Boutier (RIVP), Samuel Thyrion (Copas) et Valentin Chaput (OSP) pour dresser le bilan de leur collaboration dans le but de créer le premier budget participatif de la Régie Immobilière de la Ville de Paris, en adaptant la plateforme Consul, développée par la ville de Madrid.

D’où vient le projet ?

Valentin Chaput : La mairie de Paris réalise un budget participatif annuel depuis 4 ans. Lors de la troisième édition, ils se sont aperçus qu’il y avait des gens qui habitaient des résidences sociales affiliées à la mairie de Paris par l’intermédiaire de bailleurs, qui avaient des projets qui concernaient les résidences et non des espaces publics. De là est venue l’idée de demander à ces bailleurs sociaux de décliner le budget participatif (Élogie-SIEMP, la RIVP et Paris Habitat). C’est comme cela que la RIVP a décidé de lancer son budget participatif, en faisant appel à des prestataires expérimentés de ce genre de démarches.

Fabienne Boutier : La RIVP est ce qu’on appelle une société d’économie mixte de la ville de Paris, c’est-à-dire que son actionnaire principal est la ville de Paris (à 80%). Il était donc légitime qu’il y ait une volonté de sa part de voir ses bailleurs sociaux suivre sa voie en terme de budget participatif. Il y a cependant un second élément qui a poussé la RIVP à lancer ce projet : l’avis citoyen rédigé en février 2016 à la suite de la conférence de citoyens sur l’amélioration de la qualité de vie en logement social à Paris, et dont la conclusion était que les habitants désiraient plus de concertation et d’écoute.

Samuel Thyrion : En ce qui concerne l’implication de Copas, nous avons remporté un appel d’offre de la RIVP. La ville de Paris ayant lancé son propre budget participatif depuis 2014, il y avait une volonté institutionnelle d’adaptation des bailleurs sociaux à ce type de problématiques. D’autre part, la RIVP proposait déjà un fond de soutien aux initiatives locales. C’était donc une occasion d’expérimenter une autre manière d’échanger avec leurs locataires.

Quels outils de concertation existaient déjà ?

ST : Il existait uniquement des outils d’information. En effet, hormis ce fonds de soutien, il n’y avait pas de plateforme civic tech de concertation, ni d’intervenant de terrain du côté de la RIVP.

FB : Nous avions surtout des outils de communication institutionnelle, principalement par voies d’affichage, mais cela s’arrêtait là. En revanche, nous faisions déjà des prémices de concertation assimilables à une forme de budget participatif sur les résidences où la RIVP engage des travaux de réhabilitation, afin d’essayer de plus associer les locataires et de les concerter dans le cadre de telles opérations. Lors de ce type de projet, nous faisons aussi appel à des entreprises capables de nous fournir une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour animer la concertation, comme l’ont fait Open Source Politics et Copas sur celui-ci.

Atelier de présentation du dispositif et d’émergence des premières idées animé par Samuel Thyrion (Copas) dans le 19e arrondissement de Paris.

En quoi la plateforme numérique complète-t-elle ces outils ?

ST : Ce que demandait la RIVP, c’est que les solutions proposées par Copas comme OSP prennent en charge l’intégralité du processus participatif. La plateforme était un outil permettant d’informer sur la tenue des réunions publiques, de présenter le mode de fonctionnement du budget participatif, de déposer ses idées et projets, de les commenter etc. Dès le départ, le cahier des charges était assez clair sur le fait qu’il allait être nécessaire d’utiliser plusieurs modes de communication.

VC : En ce qui concerne l’implication d’Open Source Politics dans le projet, c’est Copas qui nous a proposé une collaboration pour mettre en place un outil numérique d’accompagnement du budget participatif. Nous travaillions depuis plusieurs mois avec Hugo Barthelemy afin d’adapter Consul, une plateforme civic tech open source développée par la mairie de Madrid. C’était donc pour nous l’opportunité de réaliser la première utilisation de l’outil en dehors du monde hispanophone, et cela a plutôt fonctionné car nous avons pu faire de Consul un outil de centralisation, non seulement pour les idées déposées par les locataires, mais aussi pour informer sur les phases de votes, les réunions etc.

Comment ont été définies les thématiques ?

ST : Nous avions des critères assez simples, basés sur les catégories standard d’un budget participatif, à savoir : cadre de vie, solidarité, lien social et micro-aménagements. Donc lorsque nous étions face à un projet, il suffisait de se demander s’il correspondait à l’une de celles-ci. D’autre part, ce type de démarche a aussi pour but de répondre à des besoins collectifs et non individuels. Les projets devaient aussi être initiés par un locataire ou un groupe de locataires avec le soutien d’une association locale. Enfin, les projets se devaient d’être cohérents par rapport au budget alloué.

FB : Dès le début de la réflexion, nous avions défini deux types de projets qui pourraient relever du budget participatif : les projets de lien social et les projets de petits aménagement (une réhabilitation thermique ou un ravalement de façade sont hors de propos car sur des budgets différents). Nous avons aussi effectué un benchmark auprès d’Élogie-SIEMP, qui avait fait un budget participatif à petite échelle. C’est comme ça que nous avons abouti aux quatre catégories mentionnées par Samuel.

Comment cela s’est-il passé au niveau opérationnel ?

ST : Le projet a suivi un modèle d’organisation assez classique, avec dans un premier temps un comité de pilotage de la RIVP auquel Copas et OSP participaient systématiquement. Chacun de ces rendez-vous correspondait à des étapes-clés de la mise en œuvre du budget participatif, par exemple pour valider le règlement du budget participatif. Nous avons ensuite organisé et animé dix réunions d’informations publiques, au cours desquelles 140 propositions ont été enregistrées sur la plateforme. Ces réunions ont été suivies d’ateliers de co-construction, permettant d’affiner les propositions, puis d’un processus de budgétisation, en lien avec des associations locales et enfin d’une phase de vote du 20 septembre au 2 octobre.

FB : De mon côté, j’ai surtout porté le dispositif d’un point de vue logistique (organisation des réunions avec les habitants, envoi des courriers, gestion des affichages, réservations de salles auprès des partenaires etc.). L’une des premières étapes, par exemple, portait sur des réunions d’informations auprès des gardiens et responsables de résidence. Il y avait beaucoup de travail à faire en interne, pour faire le lien avec les services concernés (communication, DSI, moyens généraux…) et en externe avec Copas et OSP, pour valider les propositions, préparer les réunions etc. Il a aussi fallu contacter des acteurs associatifs locaux pour accompagner certains habitants qui avaient soumis des idées mais ne pouvaient pas nécessairement porter seuls leur projet.

Pour atteindre tous les publics, il était nécessaire de combiner vote en ligne sur la plateforme et vote papier dans des urnes installées dans chaque résidence. Crédit photo : Christophe Demonfaucon — RIVP

Cette expérience est-elle reproductible ?

ST : Oui, à certaines conditions. Nous avons mis en œuvre ce budget participatif dans un calendrier assez serré. Idéalement il faut plus de temps car la logistique est très importante (édition de bulletins de vote, livraisons aux gardiens, urnes etc.) et parfois chronophage ! En ce qui concerne l’organisme ou l’institution à l’origine de la démarche, il faut une très forte disponibilité pour effectuer des validations rapides, car encore une fois, un budget participatif est une démarche complexe qui requiert beaucoup de temps et d’attention.

VC : En théorie oui, mais cela soulève quelques questions : comment atteindre au mieux les publics concernés, parfois peu portés sur le numérique ? Comment pondérer les propositions des locataires ? Quelles normes pour le système de vote ? Pour les bailleurs, comment internaliser une partie plus conséquente de la démarche afin de l’étendre ?

Animation sur site avec la crieuse publique Ségolène Thuillart lors de la phase de vote. Crédit photo : Christophe Demonfaucon — RIVP

Quels sont les enseignements que vous retirez de cette expérience ?

ST : Je pense que le terrain ne s’improvise pas, il requiert des compétences de médiation, d’argumentation, des capacités d’explication, d’adaptation et d’animation. On a parfois dû gérer des locataires mécontents du fait d’autres soucis. Donc il faut pouvoir prendre du recul et faire preuve de pédagogie. Un autre point important est la complémentarité amenée par le fait d’avoir à la fois une plateforme numérique et de faire du présentiel sur le terrain, il faut jouer là-dessus et c’est l’ensemble du dispositif qu’il faut valoriser.

VC : Côté plateforme, nous avons eu la chance de bénéficier d’une aide importante de la part de la communauté madrilène, créatrice de Consul. Ses membres étaient toujours très disponibles pour répondre aux questions de notre équipe technique. Ces échanges leur ont d’ailleurs permis de perfectionner leur outil, car nous avons dû beaucoup tester Consul pour pouvoir l’adapter au contexte local. Au niveau des résultats, nous sommes aussi ravis car ils ont dépassé nos espérances : 14% de participation sur ce premier essai, cela peut paraître modeste mais c’est en fait assez élevé pour ce genre de démarche.

FB : En interne, je pense qu’un projet de ce type doit être porté et affirmé auprès de l’ensemble des salariés comme un projet structurant de l’entreprise.. En ce qui concerne les habitants, ils étaient globalement intéressés par la démarche, mais elle leur était un peu étrangère et ils avaient donc parfois besoin d’un accompagnement fort. D’autre part, certains gardiens de résidence sont restés dans la crainte d’avoir du travail supplémentaire, probablement parce que nous n’avons pas su faire preuve d’assez de pédagogie, faute de temps. À l’heure actuelle, nous rentrons dans la phase de portage de la mise en œuvre des projets. Cela va nous permettre de tirer de nouveaux enseignements.

Quels sont les intérêts, les enjeux d’une telle démarche ?

ST : Un des intérêts de la démarche est qu’elle redonne du crédit à la participation. Le budget participatif est très concret et donne un pouvoir effectif aux locataires. L’enjeu majeur est de mobiliser les gens. L’aspect concret le permet et d’autre part c’est un processus relativement court avec des phases assez claires. Il y a aussi des enjeux internes pour l’organisme porteur. Il faut prendre acte que c’est vraiment un projet transversal. Cela a des incidences dans tous les domaines : dans notre cas les services de communication de la RIVP ont été autant impactés que ceux de la direction des systèmes d’information. Les budgets participatifs sont des dispositifs qui ont vraiment du sens, mais qui nécessitent des compétences variées et une certaine agilité en terme d’organisation.

FB : Pour la RIVP, l’enjeu majeur était de développer de nouveaux modes de communication, d’aller au contact des locataires… Mais il est vrai que cela implique des évolutions en interne pour des structures comme la nôtre, en plus d’une réflexion approfondie sur la meilleure façon de capter ces publics, qui effectivement ne sont pas tous familiers du numérique ni de ce genre de démarches.

Contactez-nous si vous souhaitez vous engager dans un dispositif de concertation utilisant des outils civic-tech !

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