Civic Hall européen à Madrid : quinze jours en immersion

Dans le cadre d’un hackathon de deux semaines sur le thème de l’intelligence collective au service de la démocratie, Virgile Deville s’est rendu, pour Open Source Politics et Democracy Earth, à dans le Civic Hall Madrid afin de faire évoluer Sovereign, le projet de logiciel de la fondation. C’était également l’occasion pour lui de découvrir le Medialab Prado, un véritable espace collaboratif citoyen.

Arrivé à Madrid le 18 novembre 2016, Virgile a pu rapidement s’imprégner de l’atmosphère qui régnait sur place. Coup de cœur immédiat pour la capitale espagnole, vivante tout en restant fidèle à son histoire, à la fois agréable et abordable. Le seul bémol aura été l’absence regrettée du beau temps.

Situé en plein centre de la ville, à proximité de la gare d’Atocha, le Civic Hall madrilène s’est installé dans une ancienne scierie réaménagée, au cœur d’un quartier dynamique et festif. Le bâtiment est spacieux et aéré. Il compte un fablab, un espace d’exposition, un grand espace de travail et une salle de conférence. L’équipe du Medialab Prado est composée non seulement de personnes de la mairie — le “ParticipaLab” — mais aussi de personnes en résidence sur place — sociologues, hackers (robotique), arts numériques… Ce staff éclectique gère l’accueil et travaille sur des projets personnels. Une attention toute particulière est donnée à la médiation. Ainsi, des personnes sont là pour accueillir les différents publics et les aider à utiliser le lieu, ouvert à tous. Chacun peut décider de venir y proposer un projet quand il le souhaite. En résumé, le Medialab Prado c’est une équipe bienveillante et ouverte, mais aussi et avant tout acharnée et travailleuse, professionnelle et expérimentée puisqu’il existe depuis 10 ans. Avant d’occuper son emplacement actuel, l’équipe du Medialab se réunissait dans un espace en sous-sol.

Medialab prado
Installés dans une ancienne scierie, les locaux du Medialab Prado sont incroyablement spacieux et biens aménagés.

Une fois la découverte du lieu effectuée, les choses sérieuses pouvaient commencer. Le staff du Medialab s’attela à former des groupes de travail pluridisciplinaires, avec un éventail de compétences allant du code à la rédaction ou la narration, en passant par des profils plus artistiques.

Installés dans une ancienne scierie, les locaux du Medialab Prado sont esthétiques et spacieux

Une fois la découverte du lieu effectuée, les choses sérieuses pouvaient commencer. Le staff du Medialab s’attela à former des groupes de travail pluridisciplinaires, avec un éventail de compétences allant du code à la rédaction ou la narration, en passant par des profils plus artistiques.

Le sujet sur lequel tous les groupes allaient devoir travailler était le suivant : “L’intelligence collective au service de la démocratie”.

En plus de Virgile (Open Source Politics/Democracy Earth), l’équipe était composée de Claudia (artiste numérique), Angeliki (illustratrice), Mia (auteure d’une thèse sur les nouvelles formes de partis politiques ), Mair (étudiante en sciences politiques ), Roxana (experte en design-thinking) et enfin Juan-Felipe (scénariste). En parallèle, deux codeurs ont participé au projet : Gage et Osiel.

Les supers illustrations créée toutes au long des deux semaines.

Dream Team at work !

Une équipe dont les membres avaient donc des parcours diamétralement opposés, mais complémentaires… Pas évident pour Virgile d’encadrer des profils aussi éclectiques. Cela dit les participants ont pu, dès les premiers jours, utiliser une instance de Sovereign pour prendre leurs décisions. Ils ont reproduit le processus de développement des livrables suivant :

  • Définition du problème ;
  • Test du logiciel existant et feedback ;
  • Définition des livrables ;
  • Vote et délibération ;
  • Répartition des tâches.

Pour ce qui est du thème global choisi, les membres ont assez rapidement exprimé leur désir de traiter du numérique et du futur de la démocratie en les reliant à la thématique de la souveraineté populaire dans le contexte espagnol. Le sujet était d’actualité. En effet, la presse espagnole titrait sur la révélation en novembre dernier d’une vidéo enregistrée en 1995 où Adolfo Suárez, ancien Président du gouvernement espagnol, révélait avoir refusé en 1976 d’organiser un référendum sur la nature monarchique ou républicaine du régime (voir article ci-dessous en espagnol).

Il faut bien comprendre que le sujet reste très sensible en Espagne, où le roi possède toujours un réel pouvoir — il est par exemple le chef des armées. Pour contourner le tabou, l’équipe a choisi de traiter la question sous un aspect moins concret, à travers une narration fictionnelle.

L’idée était de souligner la corrélation suivante : comme ont pu l’être les rois et les reines d’antan, les administrateurs de nos outils de gouvernance numérique sont les souverains des démocraties connectées. Ils disposent d’un droit de regard sur les prises de décision publiques, mais aussi sur les opinions et données personnelles collectées sur leurs plateformes.

Gouvernance digtiale
L’enjeu pour la démocratie de créer des systèmes décentralisés

C’est la raison pour laquelle toute une partie de la communauté internationale de la civic-tech préconise d‘utiliser des plateformes open source, là où la démarche des éditeurs de logiciels propriétaires pose un problème de transparence et de souveraineté. Pour y remédier, il est nécessaire de concevoir un système de gouvernance décentralisé et incorruptible. C’est là que Democracy Earth, le projet successeur de DemocracyOS, entre en jeu. Mais c’est une histoire pour un autre article

À quoi aboutit-on lorsque l’on fait travailler une équipe aussi hétéroclite ? Réponse : une plateforme portée par un message fort : la question du devenir de la souveraineté au-delà des États-nations.

Après plusieurs jours de travail, l’équipe lance la plateforme Kingdom Tale”. Il s’agit d’une expérience en ligne dont l’objectif est de sensibiliser l’opinion sur la question globale de la souveraineté individuelle au XXIe siècle et, à travers une narration fictionnelle, de discuter de la monarchie en Espagne et des autres monarchies modernes en dressant un parallèle entre celles-ci et l’aspect numérique des systèmes politiques contemporains.

Kingdom Tale

Après cette courte introduction, le lecteur est propulsé dans un mini-jeu dans lequel il incarne l’empereur actuel du “Royaume dont je ne veux pas me souvenir”. Tout paraît calme durant les premiers instants. On peut reconnaître différents bâtiments célèbres de Madrid. À l’approche de l’empereur, ses sujets le suivent paisiblement… Mais rapidement, ceux-ci se rebellent et envahissent la Plaza de la Puerta del Sol (le lieu de réunion des Indignados en mai 2011) !

L’expérience interactive

Dès lors, l’axe narratif se dévoile et l’on découvre le contexte dans lequel évoluent les citoyens et le successeur de l’empereur, le “Roi Ier” du “Royaume dont je ne veux pas me souvenir”. Un roi qui a su faire preuve d’un désir d’équité et de justice sociale, mais qui reste l’héritier d’un système fondamentalement injuste dont il ne peut que préserver l’intégrité, malgré sa bonne volonté.

Kingdom Tale
La narration autour de l’expérience

Enfin, le lien final est un appel à la mobilisation intitulé “BecomeSovereign” qui ouvre sur une instance de Democracy Earth permettant aux utilisateurs de voter sur des questions telles que les lois de succession des héritiers royaux ou encore le maintien des pouvoirs décisionnels des monarques.

Le logiciel de débat « Sovereign » de Democracy Earth

L’expérience de Virgile au Medialab Prado s’est avérée plaisante et extrêmement enrichissante. Ce hackathon a non seulement été pour lui l’occasion d’avancer sur le projet Democracy Earth, mais aussi de tisser des liens avec l’écosystème civic-tech espagnol, qui émane directement du mouvement des Indignados et qui a pu mener de nombreuses expériences depuis l’accession au pouvoir de coalitions citoyennes dans les principales villes espagnoles comme Madrid, Barcelone ou La Corogne. C’était également l’occasion de rencontrer une communauté de près d’une centaine d’innovateurs démocratiques du monde entier qui s’attellent tous à des projets incroyables et variés et qui ne transigent pas avec les valeurs autour desquelles ils se retrouvent — notamment le logiciel libre (synonyme de coopération et transparence) et un certain attrait pour les espaces de participation qui engagent la responsabilité des institutions et des décideurs politiques vis-à-vis des citoyens.

Parmi les autres projets, Virgile a été particulièrement impressionné par :

  • Turnometro : Une application de décompte ou de demande du temps de parole lors d’assemblées générales, émanant directement de l’expérience de Wiki Politica au Mexique. Turnometro permet également de recueillir des avis, des ressentis sur chacun des speakers.
  • Red Argos : Outil de rédaction collaborative en temps réel basé sur la technologie jetpad (alternative open source à Google docs), visant à améliorer la participation au processus législatif.
  • Consul + Emapic : Fusion d’Emapic qui permet d’élaborer des sondages géolocalisés et de Consul, l’outil de participation citoyenne créé par la mairie de Madrid. L’idée étant de localiser la provenance des propositions mais aussi de pouvoir quadriller, pour chaque proposition, la répartition des votes par quartier etc.
  • Digidem Guide : Une plateforme qui centralise et redirige vers différents outils de consultation/participation citoyenne en fonction des besoins (OpenSpending pour la transparence des dépenses publiques et privées, Loomio pour l’argumentation et la discussion, Pol.is pour la consultation à large échelle etc.).

Le Medialab Prado est un véritable modèle d’innovation démocratique pour plusieurs raisons :

1. L’accessibilité : le lieu est ouvert à tout citoyen qui veut y mener un projet, et une équipe de médiateurs y est disponible pour l’accompagner.

2. La collaboration avec la mairie : les membres du “ParticipaLab” travaillent à la mairie et mènent les expérimentations au sein du Medialab. Ce genre de partenariat entre société civile et institutions est passionnant car il élargit le champ des parties prenantes dans les démarches de concertation et rend plus facile l’implication des citoyens.

3. L’ouverture sur l’international : tout en traitant des sujets locaux, l’équipe du Medialab parvient à organiser des hackathons avec des participants venus du monde entier et leur garantit un accompagnement par des mentors reconnus, comme Audrey Tang, ministre du numérique de Taiwan.

4. La diversité des thématiques : le Medialab accueille et promeut aussi bien des projets de robotique que des projets artistiques, sociaux ou musicaux…

C’est assurément le modèle qui doit nous inspirer collectivement pour concevoir le futur Civic Hall Parisien.

Equipe Civic hall parisien
Les participants

Article rédigé par Noe Jacomet (@NoeJcm)

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