Depuis 2007, le Conseil européen de la recherche, un organe de l’Union européenne et première agence de financement pan-européen, finance des programmes de recherche exploratoire. En 2024, dans la liste des heureux bénéficiaires d’une bourse “Synergy Grant” nous retrouvons le professeur Umberto Grandi qui a déjà collaboré avec la Métropole de Toulouse dans le cadre de ses recherches sur les données du budget participatif de la ville de Toulouse que nous accompagnons depuis 2019.
Pour les six années à venir et aux côtés d’Ulle Endriss professeur en intelligence artificielle et prise de décision collective à l’université d’Amsterdam, de César Hidalgo professeur de sciences sociales et comportementales à la Toulouse School of Economics et de Maija Setälä professeur de sciences politiques de l’université de Turku en Finlande, Umberto va orienter son travail de recherche sur les processus délibératifs et participatifs




L’objectif de ce projet de recherche nommé ADDI, pour Advancing Digital Democratic Innovations, est d’étudier les formes de participation citoyenne augmentées numériquement à travers trois objectifs principaux :
- concevoir des technologies et des procédures pour la délibération et la participation citoyennes ;
- tester expérimentalement l’impact de la technologie dans les forums délibératifs et participatifs ;
- et comprendre les préférences exprimées dans les formes de participation civique augmentées numériquement.
Ce projet, financé sur six ans à une hauteur de 9,9 millions d’euros doit permettre une meilleure compréhension sur la manière dont les civic techs peuvent améliorer les pratiques démocratiques. Cela tout en fournissant une suite robuste d’outils open source scientifiquement validés. Pour rentrer plus en profondeur sur le sujet, retrouvez ici la retranscription de l’entretien que nous avons eu la chance de conduire avec Umberto Grandi enseignant-chercheur à l’Université Toulouse Capitole.
Pouvez-vous brièvement vous présenter et nous expliquer votre projet de recherche.
« Je m’appelle Umberto Grandi, j’ai 40 ans. Je suis professeur en informatique à l’Université Toulouse Capitole, je suis membre de l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse, l’IRIT. Je suis mathématicien de formation, et c’est à l’Université d’Amsterdam que j’ai commencé à travailler en choix social, donc à la croisée de l’informatique et de l’économie, lors de ma thèse. Je suis arrivé à Toulouse en 2014 après un postdoc de deux ans à l’Université de Padoue. Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, je travaille à la conception et à l’étude d’algorithmes qui permettent à un groupe d’agents autonomes de prendre des décisions. Les élections démocratiques en sont un exemple, tout comme le budget participatif d’une ville ou une simple décision en comité sur le choix d’un candidat à recruter. Je m’attaque maintenant à notre nouveau projet ERC ADDI, mentionné plus haut, qui a comme but d’analyser scientifiquement l’impact des innovations digitales sur deux processus démocratiques : les processus participatifs et les conventions citoyennes aussi connues comme « mini-publics ». La nouveauté est que nous allons aussi développer nos propres outils, nos propres algorithmes, et nous allons le faire en suivant des principes, ou des axiomes, qui en guideront la conception ».
Vous avez travaillé sur les données du budget participatif de la ville de Toulouse par le passé. Comment ce projet a-t-il influencé votre intérêt pour la civictech et comment comptez-vous appliquer les leçons apprises dans votre nouveau projet ?
« Nous avons contacté la mairie de Toulouse après leur première campagne de budget participatif en 2019. Le budget participatif était déjà bien étudié dans ma communauté de recherche (le choix social computationnel) et on voulait explorer des terrains d’expérimentation avec des données réels. Cette collaboration a permis à plusieurs stagiaires de se former et de travailler sur les données de la mairie de Toulouse sur les campagnes de PB de 2019, 2022 et 2024. Travailler sur des cas réels est très motivant pour quelqu’un comme moi habitué à faire des équations au tableau et à vivre dans le monde abstrait de l’informatique théorique. Il m’a appris que les problématiques du monde réel sont souvent différentes que celles qu’on se pose dans nos articles de recherche, et qui sont souvent une belle inspiration pour des nouveaux problèmes scientifiques à étudier ».
Quels sont les défis les plus importants auxquels vous pensez que les démocraties sont confrontées aujourd'hui en matière de démocratie numérique et comment votre recherche peut-elle y répondre ?
« Après un enthousiasme initial et des attentes positives sur l’utilisation des outils numériques en démocratie, depuis plusieurs années on ne fait qu’entendre parler des dégâts que le numérique fait à la démocratie (dans le monde occidental, il faut préciser). Mais l’informatique est un espace de création, les algorithmes font ce pour quoi ils sont programmés, et nous avons toute la liberté de créer des nouveaux outils qui peuvent être bénéfiques à la démocratie. La recette ? Avoir un approche scientifique : tester les outils numériques de participation en plusieurs situations et sous plusieurs traitements pour découvrir leurs effets sur les utilisateurs (les votants, les décideurs, les élus…). Dans notre projet nous voulons donc combiner à la fois la création des nouveaux outils informatiques et l’expérimentation rigoureuse de ces outils dans des situations réelles ».
Votre projet vise à faire progresser l'innovation démocratique numérique. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ce que cela pourrait signifier dans la pratique, par exemple en matière de nouveaux outils, de nouvelles méthodes de participation ou de nouvelles formes de gouvernance ?
« Pour donner quelques exemples, nous allons attaquer le problème de décider collectivement sur *beaucoup* de questions : disons plusieurs centaines de projets, dizaines d’arguments à délibérer… Tenant compte que les citoyens ont peu de temps à nous donner, il faudra développer des bons algorithmes d’élicitation et d’agrégation de leurs préférences. Pour considérer le cadre d’une convention citoyenne, nous allons tester l’utilisation de plateformes pour l’analyse des préférences des participants et découvrir leurs effets sur la qualité de la délibération ».
Comment comptez-vous collaborer avec les parties prenantes, telles que les gouvernements locaux, les organisations de la société civile et les citoyen·nes, pour développer et tester vos idées ?
« Dans les six ans du projet nous allons organiser plusieurs événements qui viseront à développer des partenariats pour tester nos outils dans des cas réels. Nous avons déjà été contacté par plusieurs d’entre eux ! Il y a une communauté qui commence à se développer entre chercheurs et acteurs de la démocratie digitale, que nous soutenons et à laquelle nous voulons contribuer (par exemple la série de conférence du réseau EDDY ».
Dans une interview vous avez mentionné qu'une « suite d'outils open source » résultera du projet ADDI, avez-vous déjà des idées sur ce qu'ils seront ou leurs buts ? Le besoin de mettre ces ressources en open source est-il lié au cadre de la bourse ou bien est-ce par convictions personnelles ?
« L’open source est une bonne pratique que nous voulons suivre, elle est à la fois plus performante que des outils propriétaires et éthiquement plus désirable dans des applications de civic-tech. Avec ce projet nous voulons laisser une trace, et publier tout nos logiciels en open source permettra aux futurs chercheurs et développeurs de construire sur nos résultats une fois le projet terminé ».
Quels sont les principaux défis que vous anticipez pour mener à bien votre projet de recherche ?
« Tout d’abord, comme tout projet interdisciplinaire, il y aura une première phase d’alignement entre les chercheurs des différentes disciplines. En effet, si l’on est politologue, on ne parle pas la même langue qu’un informaticien, et les problèmes de recherche qui sont intéressants pour l’un ne le sont pas forcément pour l’autre. Le gros défi de ce projet est effectivement d’arriver à faire des recherches en synergie entre trois disciplines (informatique, économie, sciences politiques), pour inventer une nouvelle méthodologie pour le développement et l’étude d’outils pour la démocratie digitale. Le deuxième défi est de faire sortir nos résultats des laboratoires et d’avoir un véritable impact à la fois sur la société, mais aussi sur la communauté naissante des startups et entreprises qui travaillent dans les civic tech (comme Open Source Politics). Pour cela, nous prévoyons d’organiser des workshops et des rencontres entre chercheurs et le monde entrepreneurial, jusqu’à leur proposer des collaborations de recherche avec des outils propriétaires ».
Poursuivez l'exploration avec nous
Vous avez apprécié cette plongée au cœur du projet ADDI et ses ambitions pour le monde de la civic tech ? L’équipe de recherche continue son travail pour faire progresser la démocratie numérique. Restez connecté à leurs découvertes et à nos actualités en vous inscrivant à notre newsletter 😉
Crédit image
- Photos des membres de l’équipe de recherche © IRIT
- Illustration du réseau EDDY : génération réalisée via l’outil Dall-E-2 d’OpenAI (prompts: five people, debate, megaphone, Henri Matisse). © EDDY