Comment se développe (ou non) un commun numérique ? Le témoignage de Ronan Chardonneau pour Matomo

Pour ce premier épisode de notre série qui s’intéresse au développement des communs numérique, nous avons interrogé Ronan Chardonneau, formateur indépendant sur la solution libre Matomo depuis 2010. Auteur de nombreux ouvrages en analyse d’audience, dont Matomo Analytics, il est l’un des co-organisateur du MatomoCamp. Parallèlement à cela il a été maître de conférences associé en marketing digital à l’IAE Angers jusqu’en août 2023 mais aussi expert international en logiciels libres auprès du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

Bonne lecture !

Avant d’aller plus loin, Matomo, quésaco?

Anciennement nommé Piwik jusqu’en 2018, Matomo est un logiciel libre et open source de mesure de statistiques web, conçu pour être une alternative libre à Google Analytics. C’est par ailleurs une des solutions que nous utilisons pour nourrir nos tableaux de bord Metabase et ainsi fournir à notre clientèle, différents type de données afin qu’elle puisse évaluer l’ensemble du parcours utilisateur de toutes celles et ceux qui visitent leurs plateformes Decidim de participation citoyenne.

Pour commencer, comment définiriez-vous la notion de commun ? de logiciel libre ?

« À mon sens, un commun est un bien qui appartient à tous. Pour moi, un logiciel libre est un commun, c’est-à-dire un logiciel qui appartient à tous ».

Comment Matomo est-il né et comment est-ce que vous contribuez à ce projet ? 

« Matomo est né de la frustration d’un Français nommé Matthieu Aubry, qui ne trouvait pas d’alternatives libres à Google Analytics en 2005. En réalité, il avait déjà des connaissances en analyse de données statistiques, car il avait déjà créé une solution plus artisanale (phpMyvisites) par le passé. Je contribue beaucoup à Matomo, notamment sur la partie communication. En fait, il est difficile pour un marketeur de se faire une place dans le domaine de la contribution à un logiciel libre, car on imagine qu’il n’y a que sur le code que l’on peut aider. En réalité, n’importe qui peut aider au développement du logiciel. Dans mon cas, j’adore réaliser des vidéos de formation, des Moocs, rédiger de la communication, créer des événements, rechercher des conférenciers pour parler de méthodes d’usage. C’est ce que je fais pour Matomo. On parle beaucoup des influenceurs dans les actualités, et bien rien n’empêche d’être influenceur pour des logiciels libres ».

Comment avez-vous été amené à travaillé dans le monde de l’open source ? 

« Mon père travaillait dans la police au moment où OpenOffice a été mis en place, j’ai alors été tout naturellement sensibilisé à l’univers des logiciels libres. Il y a eu ensuite le lancement d’Ubuntu et le fait que l’ordinateur que j’utilisais à l’époque et qui était sous Windows, ne soit plus fonctionnel. C’est alors que j’ai découvert les install-party grâce à une association libriste. Depuis le jour où j’ai eu un système d’exploitation sous GNU/Linux, je n’ai plus réussi à en changer. Tout le reste me paraissait illogique. Lorsque j’ai cherché mon premier emploi en tant que responsable marketing digital en 2009, j’ai été séduit par la première entreprise qui mettait en avant son utilisation et son amour du logiciel libre. Un an plus tard, je découvrais Matomo, une solution beaucoup plus enrichissante sur le plan intellectuel que Google Analytics, sur lequel j’étais compétent mais lassé ».

Quelles sont les fausses idées/croyances auxquelles vous êtes confronté dans votre travail de formateur à un logiciel libre ?

« Dans mon cas précis, les nouveaux utilisateurs confondent souvent Matomo avec Google Analytics, en matière de fonctionnalités et de coûts, ce qui les déçoit souvent… En effet, Matomo est un logiciel serveur, ce qui implique un coût d’hébergement et une exigence en matière de puissance du serveur. Les utilisateurs de Google Analytics ne le remarquent pas car des entreprises comme Google utilisent un modèle économique basé sur l’exploitation des données utilisateur. Malheureusement, on ne leur présente pas l’exploitation concrète qui est faite de leurs données.

Personnellement, je pense que l’offre de service basée sur ce modèle économique est diabolique car elle joue sur l’ignorance du consommateur. C’est le cas de Gmail, Google Drive, etc. Comment peut-on être compétitif sur ce terrain, lorsque la notion de coût est souvent le premier critère de choix ?

En ce qui concerne les fonctionnalités, cela est un peu lié au premier critère. Un logiciel libre se développe grâce à sa communauté. Si la communauté est moins forte que celle des utilisateurs du concurrent et/ou celle des employés de la structure concurrente, il est certain que nous n’aurons pas les mêmes avancées technologiques.

Pour pallier cela, il faut expliquer aux clients que l’utilisation d’un logiciel libre nécessite du temps, des efforts et de la R&D, et qu’il s’agit d’un actif important pour l’entreprise/la structure. Mon problème est que les nouveaux utilisateurs ne voient pas cet aspect-là, ils veulent tout, tout de suite et pour un coût égal à 0. Il faut donc faire preuve de pédagogie, trouver les bons exemples et mettre en évidence les réalités sociétales. Ce n’est pas facile car cela nécessite de leur part de se projeter et de réaliser que les logiciels libres sont bien plus durables. En fait, il suffit de regarder les statistiques sur les parts de marché des systèmes d’exploitation pour comprendre le fossé abyssal qu’il nous reste à combler en matière d’éducation ».

Quelles sont les difficultés spécifiques au bien commun numérique qu’est le logiciel libre ? 

« Je n’ai plus la phrase exacte, mais dans son livre biographique, Linus Torvalds explique que la plupart des individus trouvent les ordinateurs ennuyants. Nous voudrions utiliser l’outil, qu’il nous donne un résultat, mais sans pour autant se soucier de son fonctionnement.

Aujourd’hui, si on y regarde de plus près de manière honnête, le logiciel libre penne à percer. Il suffit d’ailleurs de prendre un terme tel que celui de l’« open source », on reste étonné de voir le peu de gens qui savent réellement ce que cela signifie. Je pense que si on veut que le logiciel libre perce et devienne une référence, il faut éduquer la population. Il n’est pas normal que, dans l’éducation nationale par exemple, on utilise des ordinateurs qui utilisent Microsoft Windows. C’est pour moi doublement dommageable. Cela « biberonne » les plus jeunes à l’utilisation de solution propriétaires opaques et cela fait une publicité grandiose de ces outils à l’échelle nationale. Ce n’est pas un cadeau. De l’éducation découle naturellement beaucoup d’autres notions, mais de manière générale tant que nous n’aurons pas plus d’utilisateurs de logiciels libres, il nous sera impossible d’inverser la tendance ».

Pour aller plus loin, voir la conférence TEDx de Ronan Chardonneau

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