Le droit de pétition – ou droit d’interpellation – a fait un retour en force depuis un peu plus de 20 ans avec des plateformes numériques dédiées, comme Avaaz ou Change.org. Depuis la fin des années 1990, le recueil de pétitions est devenu le premier usage participatif en ligne en volume, mais aujourd’hui, Decidim permet d’aller plus loin. Ce logiciel open source permet de mettre en pratique le droit d’interpellation à toutes les échelles grâce à un module intégré dont la robustesse a été éprouvée par de grandes institutions comme le Sénat et l’Assemblée nationale et, depuis peu, par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Droit d’interpellation, de quoi parle-t-on ?
Le droit d’interpellation est un mécanisme politique et/ou institutionnel qui désigne la possibilité de faire valoir une demande ou une revendication à une autorité ou une institution, la plupart du temps à travers un texte, comme la pétition, mais également à travers d’autres types de communications. Ce droit ne suppose pas le devoir de l’autorité ou de l’institution d’y répondre, mais y incite fortement dans une démocratie moderne. En outre, son intérêt réside dans le fait qu’il constitue un cadre permettant une sollicitation des représentés vers les représentants, alors que les démarches participatives classiques sont mises en œuvre par les représentants pour les représentés. Il peut s’exercer à deux niveaux.
Le premier niveau est institutionnel
Au Parlement, où les parlementaires peuvent interpeller le Gouvernement. Dans ce cadre, l’interpellation est souvent suivie d’un débat et d’un vote.
Le second niveau est civique
Les citoyens et citoyennes peuvent interpeller les responsables des institutions politiques. Ce dernier cadre, dans un régime démocratique, induit que les responsables s’engagent à répondre à l’interpellation que leur ont adressée les populations, qu’elles soient locales, nationales ou internationales, sous certaines conditions, comme par exemple le nombre de signatures, le plus souvent recueillies dans un délai imparti. A ce titre, ce droit apparaît comme un mécanisme appartenant à la « boîte à outils » de la démocratie directe.
Le droit d’interpellation en France, un droit qui vient de loin
Bien que la période de la Révolution française foisonne de pétitions, l’interpellation apparaît sous la Monarchie de Juillet (1830 – 1848). Le personnage principal de ce progrès politique est le député François Mauguin, aux orientations libérales et considéré comme le « père de l’interpellation », s’inspirant lui-même d’une tradition britannique très ancienne. Codifié par le règlement de l’Assemblée nationale en 1848, aboli puis rétabli par Napoléon III, le droit d’interpellation a connu des fortunes diverses selon les régimes au XIXe siècle. Sous la IIIe République, le droit d’interpellation s’ancre dans le droit français, laissant la possibilité aux parlementaires d’interpeller le gouvernement ou un membre du gouvernement. On le voit, c’est donc uniquement dans le cadre parlementaire que le droit d’interpellation est codifié et mis en œuvre. Le régime actuel de la Ve République, à la coloration présidentialiste, prévoit néanmoins des possibilités pour les parlementaires comme les Questions au Gouvernement ou le dépôt de propositions de loi sur des temps dédiés du calendrier parlementaire.
RIC ET RIP, déclinaisons du droit d’interpellation ?
En 2018, le mouvement des Gilets Jaunes, à travers la revendication du RIC – référendum d’initiative citoyenne porté par Priscilla Ludosky – peut être considéré comme une déclinaison du droit d’interpellation. A l’occasion des élections municipales de 2020, plusieurs majorités locales ont mis en œuvre ce type de dispositifs dans toute la France, en appelant en renfort les outils numériques.
Le RIP – Référendum d’Initiative Partagée – quant à lui, est un mécanisme encadré par la loi et qui relève également du droit d’interpellation. Il a été activé en 2019, dans le cadre du projet de privatisation de l’entreprise Aéroport de Paris, sans pour autant donner lieu à un référendum. Le Conseil Constitutionnel a émis de nombreuses critiques à propos du RIP, dont les contraintes (ergonomie du site web, seuil de signatures,…) lui semblent trop importantes pour aboutir.
Grâce à ces nouveaux outils justement, nombreux sont les citoyennes et citoyens qui souhaitent exercer ou pouvoir exercer leur droit d’interpellation. Les institutions parlementaires se sont saisies des possibilités. L’Assemblée nationale et le Sénat sont aujourd’hui tous les deux équipés de plateformes de pétitions à destination des citoyens souhaitant interpeller les parlementaires sur tous les sujets. Le CESE fait de même et nous l’accompagnons dans la mise en ligne d’une plateforme d’interpellation citoyenne qui verra le jour en avril 2023.
Exemple contemporain du droit d’interpellation – le cas du Conseil économique, social et environnemental
Après avoir évoqué le projet à plusieurs reprises au cours des dernières années, le Conseil économique, social et environnemental se dote d’une plateforme numérique simplifiée de pétitions citoyennes. Car de 2008 à 2021, le CESE pouvait déjà être saisi par voie de pétition citoyenne pour toute question à caractère économique, social ou environnemental, mais les chances de voir sa pétition recueillir le nombre de signatures suffisantes étaient minces. Le seuil à atteindre était de 500 000 signatures… sous format papier !
Pensé pour être un « acteur de premier plan de la vie démocratique française », le Conseil économique, social et environnemental a vu son champ d’action en matière de participation citoyenne être étendu par la loi organique de 2021. Depuis cette date, le seuil des signatures est ramené à 150 000 noms, l’âge minimum pour initier ou signer une pétition est abaissé à 16 ans et le format numérique est désormais recevable.
Pour permettre la digitalisation de ce droit, le CESE a fait appel une nouvelle fois à Open Source Politics pour l’accompagner dans la mise en place d’une plateforme participative. Depuis le 12 mai 2023, la plateforme d’e-pétition du Conseil est officiellement ouverte au public. Toute l’équipe d’Open Source Politics est ravie de vous présenter l’instance www.lecese.fr/participation-citoyenne sur laquelle nous avons travaillé ces dernières semaines.
L’organisateur de la Convention Citoyenne pour le Climat est habitué aux démarches participatives. Depuis 2018, il a adopté six travaux issus d’une méthodologie de travail qui intègre à la fois l’expertise de la société civile organisée et la parole citoyenne. En outre, il a mis en place un dispositif de veille active des pétitions sur les plateformes en ligne. Si le Conseil économique, social et environnemental (CESE) observe l’émergence d’un sujet relevant de ses responsabilités fondamentales, il peut s’auto-saisir de la problématique soulevée par la ou les pétitions identifiées sur ce sujet.
« Avec l’association de citoyens à ses travaux, la constitution de conventions citoyennes, et maintenant la possibilité d’être saisi par voie de pétition, le CESE dispose de l’expertise, l’expérience et des outils pour faire résonner la parole citoyenne utilement aux côtés de celle des organisations de la société civile. »
Thierry Beaudet, Président du CESE
Et au niveau local, pourquoi est-il aussi important de favoriser la mise en place du droit d’interpellation ?
Plusieurs arguments en faveur de la mise en place du droit d’interpellation s’ancrent aujourd’hui dans le débat public, retenons en trois.
1 Pour participer à l’équilibre institutionnel local
Il s’agit d’un dispositif participant à l’équilibre institutionnel local. En effet, les dispositifs participatifs, numériques ou non, sont proposés et déployés par les collectivités, de l’institution vers les populations. Un droit d’interpellation local permet de contrebalancer le rapport de force, des citoyens vers l’institution.
2 Pour développer le pouvoir d’agir des populations
Le droit d’interpellation peut améliorer la visibilité accordée à des problématiques mal ou pas identifiées par les élus locaux et les agents des collectivités. Des dérives sont possibles comme le nymbisme, de l’expression anglaise « Not In My BackYard » (pas dans mon jardin), mais la possibilité pour les citoyens et citoyennes de participer à l’établissement des priorités politiques s’avère une piste intéressante pour renforcer le tissu démocratique local.
3 Pour ouvrir la participation à la vie publique locale
Enfin, la simplicité des formats autorisés par l’interpellation, en acceptant le principe d’une expression « directe », élargit potentiellement le nombre de personnes qui peuvent s’inscrire dans la vie publique locale et engager le dialogue avec les élu·e·s et les fonctionnaires.
Depuis le début de l’année 2023 nous animons une série de webinaire destinée aux membres du club des utilisateurs et utilisatrices francophones de Decidim. Pour la session de février, nous nous sommes penché·es sur la Convention Citoyenne Etudiante (ou CCE) avec l’aide précieuse d’Emilie Frenkiel, Directrice adjointe de l’Institut d’Études Politiques de Fontainebleau (un institut interne de l’université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne) et qui est à l’initiative de ce concept de convention citoyenne. Lors de ce rendez-vous matinal, nous avons présenté :
le dispositif en lui-même ;
un retour d’expérience sur la deuxième édition de 2022 ;
et le guide pratique de réalisation de la CCE (disponible au téléchargement plus bas).
Vous n’avez pas pu y assister ? On revient dans cet article sur les éléments importants que nous avions abordés.
Un dispositif pensé par les étudiant•es, pour les étudiant•es
Mais tout d’abord, qu’est-ce que la CCE ? C’est un dispositif délibératif et participatif visant à inclure des étudiant·es dans le processus de construction et de décision politique. On peut en citer trois composantes principales :
la formation des participant·es à des sujets complexes et spécifiques à l’objet de la Convention ;
des délibérations et des espaces de débats en groupe ou en sous-groupe ;
et enfin une phase de restitution en plénière afin que l’ensemble des participants puisse bénéficier de ce qui est issu des délibérations citoyennes.
Ces conventions citoyennes doivent permettre la mise au point de mesures précises qui seront ensuite transmises aux institutions compétentes qui peuvent alors s’engager à s’en saisir. La convention citoyenne étudiante est organisée par l’Université Paris Est Créteil et l’IEP de Fontainebleau. C’est une expérience participative et délibérative inédite et innovante, puisque c’est une première mondiale à l’échelle universitaire. Elle vise à définir un ensemble de mesures et de propositions de recommandation en réponse à des enjeux environnementaux, sociaux et sanitaires qui concernent directement les étudiant·es. La première édition de la convention avait pour thème l’alimentation, et la seconde édition portait sur le numérique. Le dispositif repose sur un principe d’horizontalité via l’inclusion des étudiant·es sur l’ensemble des étapes de la construction du dispositif, de la conception jusqu’à la mise en place. Le but est de transformer l’apprentissage de la démocratie et de l’intelligence collective par la pratique concrète.
Les étapes du dispositif
Plusieurs étapes sont nécessaires pour mettre à bien un projet de convention citoyenne étudiante. On y retrouve :
une phase de méta délibération, qui vise à la conception du dispositif ;
une phase de lancement en présentiel de la convention citoyenne ;
une phase d’approfondissement et d’échange autour des propositions ;
une phase de finalisation des propositions via Decidim ;
et enfin une phase de suivi des réalisations et de préparation de la prochaine édition.
Du côté de l’animation
Photo @ Lina Prokofieff
L’animation et l’organisation sont prises en charge par les étudiant·es, qui ont un rôle central au sein de la convention. Les étudiantes et étudiantes prennent en charge l’animation des événements physiques, l’organisation plus globale du dispositif, la facilitation des délibérations des groupes thématiques, et la mise en place des différents pôles qui ont pour mission de rendre le dispositif plus complet et plus global.
Zoom sur la CCE 2022 : Quel numérique pour quelle société ?
Quelques chiffres clefs
50 propositions finales ;
6 thématiques ;
Plus de 300 étudiantes et étudiantes ;
40 personnes en charge de la facilitation.
Les nouveautés de cette 2e convention citoyenne étudiante
→ La seconde édition a vu la mise en place de fresques du climat et du numérique, qui étaient organisées en amont du lancement pour sensibiliser et former les participant·es aux enjeux et aux thématiques de la convention. Les ateliers intermédiaires avaient pour objectif d’approfondir et de travailler les propositions de chacune des thématiques.
→ Le recours au jugement majoritaire comme méthode de vote pour finaliser et voter collectivement les propositions est une nouveauté importante de la seconde édition. L’ensemble des propositions qui découlent des délibérations en présentiel lors des lancements, de la clôture, des ateliers intermédiaires, mais aussi plus largement sur Decidim, ont pu être soumises à l’ensemble des étudiant·es de l’IEP Fontainebleau via l’outil numérique mieuxvoter.fr. Les propositions les plus plébiscitées ont été votées collectivement afin d’en faire les propositions finales issues de la convention citoyenne étudiante.
Le témoignage d’Emilie Frenkiel
La seconde partie du webinaire s’est concentrée sur le partage d’expérience d’Émilie Frenkiel qui est donc la conceptrice du dispositif et la directrice adjointe de l’IEP de Fontainebleau et nous lui avons posé quelques questions que nous vous avons retranscrites ici.
C’est comment de mettre en place une convention citoyenne étudiante à l’échelle de l’université ?
« Pour mettre en place une convention citoyenne étudiante à l’université, il y a plusieurs conditions à remplir. La première, c’est qu’il faut trouver de la place dans les maquettes de cours. En général, les étudiants sont déjà très occupés et sollicités, donc il faut vraiment trouver de la place pour ce dispositif au sein de l’existant. Ensuite, une fois cela fait, il faut des soutiens comme des collègues qui acceptent de modifier leur cours. Il faut aussi que des directions de parcours de licence et de master acceptent de faire entrer ce dispositif dans les maquettes. Il faut aussi du soutien à l’échelle de toute l’université, parce que ça doit éventuellement dépasser certains parcours et certaines composantes.
Bien sûr, il peut y avoir, et en fait il y a, des expériences de convention citoyenne qui ne sont que des simulations. Ce qui fait que celle-ci est unique, c’est que c’est la seule université où les propositions des étudiants ont vocation à transformer notre université. Il faut des soutiens forts au sein de l’université car nous avons aussi des besoins en matière de financements, donc dans le meilleur des cas, avoir des agents du personnel pour aider à l’organisation. Même si les étudiants sont très impliqués et apportent beaucoup et portent vraiment le dispositif, ça se passe encore mieux lorsqu’il y a des moyens suffisants qui sont mis à leur disposition. Le soutien de la présidence de l’université pour offrir des moyens en termes de communication, pour pouvoir mieux communiquer au sein de toutes les personnes qui participent à la convention, mais aussi la faire rayonner, est également nécessaire.
Dernière chose, il faut aussi des soutiens en dehors, parce que nous avons monté une convention citoyenne étudiante qui était ambitieuse. L’idée, c’était de ne pas seulement mener à des actions au sein de l’université, mais aussi en dehors. Donc, les collectivités territoriales autour de nos campus notamment, participent activement à toutes les étapes de la convention. Là, par exemple, pour cette deuxième édition, nous avons déjà eu la première réunion avec la mairie de Fontainebleau. Nous nous sommes déjà entendus sur la mise en place d’un certain nombre de propositions qui pourront donner lieu à des actions à l’échelle de cette collectivité. »
Vous mentionnez qu’il faut engager en amont du dispositif des partenaires privilégiés et là, en l’occurrence, vous mobilisez la ville de Fontainebleau. Comment la ville participe voir oriente la convention citoyenne étudiante ? Est-ce qu’elle a un impact ou une influence quelconque sur la mise en place du dispositif ?
« Oui, elle en a, mais à chaque fois de façon différente selon les thèmes des conventions. Par exemple pour la première, le thème de l’alimentation avait été choisi lors des confinements. C’était vraiment important pour nous de le faire d’autant plus que dans notre université un nombre important de jeunes comme certains membres du personnel ont dû avoir recours aux dons alimentaires. Pour ce premier thème, la mairie de Fontainebleau via son programme « Fontainebleau en transition » a donc énormément aidé à monter la CCE. Elle nous a aidé à prendre contact avec les acteurs et actrices du territoire et de connecter cela a une démarche de participation citoyenne qui avait eu lieu quelques mois avant le lancement de la CCE. Par ce biais, on a vraiment pu se connecter à la fois aux acteurs politiques, mais aussi aux agriculteurs, restaurateurs locaux, etc. Nous avons par ailleurs reçu de l’aide logistique comme avec le prêt du magnifique théâtre municipal de Fontainebleau où se sont tenues les assemblées. »
Découvrez le guide de réalisation de convention citoyenne étudiante
On est très heureux de partager avec vous ce guide de réalisation qui regorge de tous nos meilleurs conseils. Ce guide a plusieurs objectifs :
présenter le dispositif de convention citoyenne étudiante et d’en aborder les enjeux pratiques, théoriques et expérimentaux ;
fournir des conseils méthodologiques et pratiques issues de l’expérience des différentes éditions ;
rendre accessible les pratiques démocratiques complexes à l’échelle de l’université.
II se structure en trois grandes parties. La première partie revient sur ce travail d’acceptation politique mentionné plus haut. Il permet également de cadrer le dispositif et d’en aborder les points logistiques qui sont le nerf de la guerre d’une bonne réalisation de CCE avec par exemple comment former les facilitateurs et facilitatrices, comment recruter des participants participantes, quel matériel prévoir, quel calendrier faut-il envisager, combien de temps met-on pour organiser une CCE, etc.
Le déroulement de la convention citoyenne étudiante est abordé dans la deuxième partie du guide. Il s’agit là d’en aborder les différents moments et les différentes phases. Nous y avons présenté le calendrier général du dispositif, un ensemble de bonnes pratiques, mais aussi l’articulation de la participation en présentiel et de la participation numérique.
La troisième et dernière partie de ce guide permet de revenir sur le suivi de la convention afin d’assurer une application maximale des engagements pris lors de la CCE. Nous abordons aussi la question de l’inclusion de la recherche dans le dispositif.
Ce guide dont nous avions annoncé la publication ici même sur le blog d’Open Source Politics dans un précédent article de blog est maintenant disponible au téléchargement et nous espérons qu’il répondra à vos interrogations et vous permettra de vous projeter dans la mise en place d’une convention citoyenne étudiante dans votre structure !
Cas d’usage – La métropole européenne de Lille : construire une politique publique de participation
Open Source Politics accompagne la Métropole Européenne de Lille depuis un an dans le développement de sa politique de participation. C’était donc l’occasion d’échanger avec Delphine Eslan, du service Concertation et Citoyenneté de la MEL, afin de revenir sur le travail effectué depuis le lancement du service en 2014.
Lorsque vous avez choisi Open Source Politics pour vous accompagner dans la réalisation de vos démarches participatives numériques comme physiques, la Métropole Européenne de Lille avait déjà une certaine tradition de participation citoyenne. Pourriez-vous nous retracer cette histoire ? Quand la MEL a-t-elle pris le parti d’impulser cette manière de construire ses politiques publiques ?
Delphine Eslan : Avant 2014 et les élections métropolitaines, la dimension transversale de la participation n’était pas particulièrement exploitée puisque les deux dispositifs en place (concertations réglementaires et Conseil de développement) n’avaient pas l’ambition de se nourrir mutuellement.
Le changement d’exécutif et l’arrivée de Damien Chastelain à la présidence a impulsé de profondes transformations dans la vision et le traitement de la participation citoyenne à l’échelle métropolitaine. La Mission Concertation et Citoyenneté est créée à cette occasion mais sa feuille de route n’est pas définie.
Il a donc fallu que nous construisions nous-mêmes, en accord avec les élus bien sûr, notre propre feuille de route. Nous avons décidé de soumettre l’élaboration de la politique de participation aux habitants du territoire. Les élus se sont beaucoup impliqués dans cette “Fabrique citoyenne”, qui a donné naissance à une Charte de la participation citoyenne. Cette Charte nous donne encore les orientations de la Métropole sur le sujet, les méthodologies à suivre et un plan d’actions précis. Finalisée fin 2016, cette Charte a été votée en Conseil métropolitain dans la foulée, le 2 décembre.
Nous n’avions pas Decidim à l’époque, nous avons donc dû à partir de décembre 2015 adapter le back-office du site internet de l’époque. La concertation qui a donné la Charte a également permis de soulever cette nécessité : la Métropole devait se doter d’un outil numérique dédié. Mi-2016, un appel d’offres en ce sens était donc lancé à toutes les entreprises civic tech. Début 2018, nous avons adopté après un premier essai Decidim, le logiciel libre proposé par Open Source Politics.
Rentrons maintenant plus dans la pratique de la participation à la MEL. Une métropole a une position souvent compliquée à gérer au sein de l’organisation politico-administrative française. Le déficit de reconnaissance souvent constaté rend parfois difficile la participation citoyenne. Comment déterminez-vous les thèmes qu’il est pertinent de soumettre à la concertation ?
Nous sommes une direction qui a vocation à venir en support des directions techniques. Nous sommes centrés sur les compétences de la MEL, ce qui nous permet de nous insérer facilement dans l’organisation politico-administrative française puisque ce sont les services qui viennent à nous avec une volonté d’intégrer la participation dans la construction de leur politique publique. Nous avons donc peu de conflit de compétences.
La plateforme Decidim de la MEL est un outil parmi de nombreux autres, mais les services rentrent souvent dans la participation par cet outil ; à nous de leur montrer comment prendre en compte les différentes modalités participatives. La pertinence d’un thème pour la participation dépend souvent du dispositif participatif mis en place.
Si l’on prend l’exemple précis de la concertation sur la marche, pourriez-vous nous décrire la manière dont vous avez construit cette démarche ?
La concertation sur la marche est un bon exemple de concertation vertueuse : elle a été bien anticipée puisque le Plan marche doit être finalisé en 2020. Nous avons élaboré un processus développé qui permet de travailler sur les cibles de la concertation et l’écosystème à mobiliser. Il faut ajouter à cela le temps de mettre en forme la démarche que l’on veut proposer aux citoyen.nes : nous avons souhaité utiliser le numérique pour établir le diagnostic et y adjoindre des dispositifs en présentiel.
Une randonnée urbaine exploratoire s’est avérée très utile pour confirmer le diagnostic. Notre plateforme Decidim nous a également permis de tirer au sort des propositions que nous avons évaluées lors de la Fab’MEL, en invitant les porteurs de projet à venir faire un pitch de leurs propositions avant que les participant.es présent.es ne les améliorent grâce à un atelier sous un format de Forum ouvert.
Cette démarche est donc à mon sens le résultat d’une belle hybridation très bien gérée par Decidim : il est possible de gérer conjointement le numérique et les autres modes de participation. Nous voulions démentir le solutionnisme technologique parfois présent aujourd’hui, tant chez les élus que les fonctionnaires.
La Randonnée urbaine exploratoire, alliance entre les formes numérique et physique de participation
Comment avez-vous assuré l’impact des contributions citoyennes ?
À l’issue de la concertation sur la marche, le service concerné a rédigé un rapport d’analyse établissant de grandes tendances de profils de marcheurs dans la Métropole. Il est compliqué de définir en amont de la démarche ce qui en sortira. Le bilan d’une démarche de construction d’une politique publique est souvent sous la forme d’une analyse technique et financière qu’il est difficile de sortir des services.
Lorsque la démarche inclut de la participation, il est encore plus nécessaire d’effectuer un retour aux participant.es sur l’impact de leur contribution, par un événement de restitution et sur la plateforme Decidim. C’est pour cela que nous nous efforçons, au-delà de la concertation sur la marche, de standardiser le format de sortie. Un cadre type de bilan de consultation a notamment été réalisé à l’issue d’une autre démarche de concertation (sur la mobilité), qui illustre bien cette nécessité.
Indiquer dès le lancement de la démarche l’impact qu’auront les contributions augmente la confiance des citoyens dans le processus
Les services ont-ils été formés ? Si oui, comment ?
Nous avons organisé plusieurs formations facultatives d’une journée portant sur la Charte. Trois jours de formation supplémentaires, axés spécifiquement sur la méthodologie de projets, ont ensuite été effectués avec un cabinet de conseil en concertation.
Maintenant, certains services font des cahiers des charges pour des AMO sans nous ; ils se sont autonomisés et c’est tant mieux ! Nous n’avons pas le temps de tout faire. Par contre, étant donné que nous avons l’expertise de la plateforme Decidim et que nous gérons son administration, toute volonté de l’utiliser nécessite notre implication dans la démarche participative
Quels sont les prochains chantiers que vous aimeriez traiter d’ici aux élections municipales ?
La Charte prévoit de faire le bilan de notre action. En parallèle des démarches de concertation qui doivent être accompagnées d’ici là, c’est ce bilan qui nous attend. Avec le recul, nous trouvons que la Charte est très technique et assez peu accessible au grand public. Elle pourrait pourtant être un contrat moral entre la MEL et les citoyens, mais elle n’est pas rédigée comme telle. Elle sert uniquement en interne ; c’est un bon début, mais il faudrait maintenant pouvoir se projeter.
Nous aimerions enfin travailler sur des indicateurs d’évaluation des démarches de concertation que nous mettons en place. Nous avons par exemple dans les tiroirs l’idée de mettre en place un “label citoyen” qui apparaîtrait dans les documents officiels pour distinguer les plus-values qui viennent des concertations. Beaucoup de projets donc, et beaucoup d’enthousiasme pour les faire avancer !
Cas d’usage – Le premier budget participatif de la ville d’Angers
Le premier budget participatif de la ville d’Angers s’est terminé début novembre. C’est l’occasion de revenir sur cette expérience et d’établir les bonnes pratiques pour faire de cet incontournable de la concertation un succès.
Conception d’un BP, mobilisation des citoyen·nes, rôle des services, faisons un tour d’horizon des bonnes pratiques pour construire ensemble la ville !
Angers est rentrée dans un club de moins en moins fermé : 90 villes françaises ont conduit un budget participatif en 2018, contre seulement 25 deux ans plus tôt. En plus de se doter d’un outil numérique pour piloter sa démarche, la ville a donc pu tirer profit des expériences menées ailleurs. Ces enseignements ont directement bénéficié à l’équipe municipale, et le succès est au rendez-vous : les chiffres ci-dessous placent Angers dans la fourchette haute des premières éditions d’un budget participatif municipal.
Retrouvez ici l’article du Monde détaillant le contexte français du BP.
Les 7 phases successives de ce premier BP angevin s’étendent sur toute l’année 2018 (si l’on ne compte pas la réalisation des propositions lauréates). Comme vous l’imaginez, elles permettent aux habitant·es de proposer des projets puis de choisir ceux qui seront réalisés par la ville l’année suivante.
Page d’accueil de la plateforme ecrivons.angers.fr
Réussir un budget participatif en 7 phases
Le découpage précis d’un BP en sept étapes sécurise toutes les parties prenantes, tant les citoyen·nes que les services de la ville ou le pouvoir politique.
Phase 1. Conception : comment garantir l’impact de la participation ?
Une fois la volonté politique établie — c’est la première base indispensable — nous avons pu démarrer la conception de la démarche elle-même. L’avantage d’un budget participatif est incontestable pour les citoyens qui, en participant, décident de l’utilisation d’une partie du budget de leur ville. Ils ont la garantie que leur expression se transforme en impact. Compréhensibles et séquencées, les étapes construisent un parcours citoyen amplifié par le numérique qui favorise la participation par sa clarté.
Le parcours citoyen de Decidim : des fonctionnalités intégrées dans une démarche par étapes
À Angers comme ailleurs, la définition des critères de recevabilité des propositions et l’assemblage d’une équipe projet efficace sont les deux points nécessitant d’être spécifiés et clarifiés en amont du lancement du dispositif. C’est à l’aune de ces critères que la mairie va devoir retenir ou non les propositions des habitant·es et les transformer en projets soumis au vote.
Dans les conseils que nous apportons aux institutions avec lesquelles nous travaillons, nous veillons à ce que ces critères soient objectifs et faciles à analyser afin d’empêcher l’irruption de biais arbitraires ou subjectifs. La ville d’Angers a arrêté le règlement de ce budget participatif avant l’ouverture de la plateforme. On élimine ainsi un risque d’incompréhension, voire de frustration, vis-à-vis du processus et on augmente mécaniquement la confiance des habitant·es dans l’exercice.
Coordonner le bon déroulement d’un budget participatif nécessite uneimplication importante de l’administration. Il a donc fallu dès le départ rassembler une équipe projet. Au centre de toutes les démarches de concertation, la Mission participation citoyenne agrège les différentes compétences et responsabilités. Notre équipe l’a formée et accompagnée au fil des semaines pour une utilisation optimale de Decidim.
Phase 2. Proposition : comment encourager les contributions ?
Entre début février et mi-avril, la phase durant laquelle les habitant·es pouvaient proposer directement leurs idées pour le budget participatif avait pour ambition d’ouvrir différents canaux d’expression pour les Angevin·es. C’est l’hybridation entre la participation présentielle et la participation numérique qui a ainsi été particulièrement mise en avant lors de cette étape. Si les propositions ont été majoritairement déposées directement en ligne par les porteurs, six rencontres ont été organiséesau mois de mars, en couvrant tous les quartiers de la ville, pour permettre d’attirer des publics différents en diversifiant les modalités de contribution.
Exemple d’une proposition sur la plateforme Decidim d’Angers
La fonctionnalité de dépôt de proposition est l’une des plus abouties de la plateforme Decidim, avec son comparateur automatique de propositions similaires, et la possibilité pour l’utilisateur de renseigner une catégorie, un quartier, une adresse et une pièce jointe. Certaines propositions ont été réellement enrichies par de longs échanges de commentairesentre plusieurs habitants intéressés.
Une fois la phase de dépôt de propositions achevée, l’étape d’évaluation incombe à la municipalité. En réalisant un export directement depuis la plateforme, elle consiste à vérifier que les propositionsrespectent les critères de recevabilité définis et indiqués au public dès le lancement du budget participatif. La mairie d’Angers, par l’intermédiaire de sa Mission Participation citoyenne, a beaucoup travaillé sur les exigences de transparence pendant le déroulement du budget participatif. Ainsi, dans le cadre de l’étape d’évaluation, chaque utilisateur·trice ayant déposé une proposition a reçu une réponse publique directement sur la page de sa proposition.
Capture d’écran de la plateforme ecrivons.angers.fr
Phase 4. Faisabilité : dans quelle mesure doit-on anticiper la réalisation des projets ?
Après le premier filtre des critères, la Mission participation citoyenne a réparti et transféré à la fin du printemps les propositions recevables aux services compétents afin que ceux-ci évaluent leur faisabilité technique et réglementaire, ainsi que leur coût. Les porteur·es de projet, après avoir reçu de la Ville un message privé directement sur la plateforme, ont eu l’opportunité d’échanger et de rencontrer le service en charge de l’analyse de sa proposition lors d’un rendez-vous, ce qui a également beaucoup aidé à la transparence.
Réalisé sur les mois d’été dans le cas d’Angers, ce travail est intense pour l’administration, notamment lorsqu’il était nécessaire d’effectuer des allers-retours avec les porteur·es de projet afin de préciser et éventuellement fusionner certaines propositions. Cette charge de travail peut cependant être grandement atténuée par le développement de bonnes interactions avec les différents services qui étudient les propositions.
Phase 5. Liste des projets et Vote : comment maximiser la mobilisation citoyenne ?
À la rentrée, la liste finale des projets soumis aux votes est présentée aux habitant·es sur la plateforme Decidim et sur une brochure imprimée. Chaque projet contient une cotation budgétaire, une présentation détaillée, une illustration et, pour assurer la traçabilité de la démarche, un lien avec la ou les proposition(s) citoyenne(s) qui l’ont inspiré. Le vote intervient ensuite : lors de cette phase, Angers a continué à allier participation numérique et physique, en installant entre autres une Agora sur la place du Ralliement, la plus grande de la ville.
Votes physiques pour les projets du budget participatif
Vote en ligne sur ecrivons.angers.fr
La Mission participation citoyenne a également été plus largement présente physiquement dans tous les quartiers de la ville pour permettre à tou·tes de voter pendant 18 jours (trois weekends), avec pour chaque habitant·e le choix des cinq projets qui lui paraissent les plus pertinents pour l’avenir de la ville. Les propositions sont localisées sur une carte de la ville et il est possible de les filtrer par catégorie et par quartier.
Ces temps-forts ont permis aux porteur·es de présenter leurs projets et aux participant·es de voter par bulletin papier ou en ligne sur la plateforme Decidim avec des tablettes ; le contact direct est une clé essentielle pour mobiliser le maximum d’habitant·es.
L’Agora du budget participatif sur la place du Ralliement
Phase 6. Validation : comment doit-on mettre en valeur l‘accord politique ?
Dès la phase de vote terminée commence l’étape de décompte des résultats. Durant cette phase, la Mission participation citoyenne opère le dépouillement des bulletins papier, en présence d’élus de la majorité et de l’opposition. Les votes papier et en ligne sont compilés pour obtenir et présenter la liste finale des projets lauréats par le maire lors d’un événement public et accessible sur la plateforme.
Comme dans de nombreux autres démarches équivalentes, les votes papier sont plus nombreux que les votes en ligne.
Dans le règlement du budget participatif, la mairie s’est engagée à intégrer les projets lauréats du vote 2018 et leurs montants dans la section d’investissement du budget primitif 2019 qui sera proposée au vote du Conseil Municipal en mars 2019.
Phase 7. Réalisation : comment permettre la transformation collaborative de la ville ?
La dernière étape — la plus longue — constitue l’aboutissement de cette année de participation des Angevin·es à l’écriture du futur de leur ville. La réalisation des projets doit advenir dans les deux ans et les porteurs des projets lauréats seront associés à cette dernière étape. La fonctionnalité de “Suivi” sera activée sur Decidim pour documenter à intervalles réguliers la réalisation des projets lauréats.
La mutualisation
Nous sommes fiers et heureux d’avoir accompagné la mairie d’Angers sur cette première démarche de budget participatif intense et concluante. Nous transmettons déjà les bonnes pratiques mises en place dans le cadre du budget participatif de la mairie d’Angers à d’autres institutions. Après le département du Loiret et la ville de Romainville (93), ce sont Nanterre (92) et Saint-Jean de Braye (45) qui se lancent fin 2018 dans leur premier budget participatif sur Decidim.
Open Source Politics travaille en effet avec Decidim, un véritable bien commun numérique, qui possède dans son ADN la gouvernance partagée et la mise en commun des réussites. Nous construisons donc étape après étape avec notre Club des utilisateurs francophones de la plateforme une communauté de soutien au sein de laquelle chaque organisation membre peut bénéficier du savoir-faire des autres, permettant ainsi de se lancer en augmentant d’autant ses chances de réussite.
Nous avons profité de l’été pour passer nos instances de Decidim en version 0.12. C’est l’occasion de vous présenter les principales améliorations de cette mise à jour importante, notamment sur le plan graphique. Les montées de version de Decidim s’enchaînent très rapidement avec l’objectif d’une v1 en novembre. Nous n’avons pas fait d’article dédié depuis la v0.9, mais vous pouvez retrouver (en anglais) le changelog détaillé des versions 0.10 et 0.11sur le blog officiel du projet.
Nommée “Ada Lovelace” en l’honneur de la première programmeuse de l’histoire, la version 0.12 introduit un nouveau design de certains composants essentiels de la plateforme. Initialement conçue comme une v1.0, cette mise à jour n’a pas été jugée assez stable par les développeurs. Le cycle d’itération continue donc, avec la perspective d’une version 1 plus complète lors de la prochaine Decidim JAM en novembre. La roadmap a d’ailleurs été mise à jour en mai dernier.
Trois innovations attendues sont arrivées avec la mise à jour 0.12 de Decidim : de nouvelles cartes de propositions et rencontres, l’intégration de véritables profils personnels des utilisateurs et une première mouture du moteur de recherche.
Les cartes de propositions et de rencontres
Elles ont ainsi été entièrement redessinées afin d’accroître à la fois leur lisibilité, leur accessibilité et leur attractivité.
Nouvelles cartes des propositions sur Decidim
Nouvelle carte d’une rencontre sur Decidim
Les profils personnels des utilisateurs
Ils ont également été revus pour accentuer le rôle de réseau social de la plateforme. Bien que les transformations les plus importantes sur ce point auront lieu lors de la prochaine mise à jour, la version 0.12 introduit déjà des modifications substantielles.
Les notifications sont désormais directement intégrées dans les profils utilisateurs
Moteur de recherche
La dernière fonctionnalité importante de cette nouvelle version est le premier prototype du moteur de recherche, qui couvrira à terme toute la plateforme, mais qui permet d’ores et déjà d’effectuer une recherche sur n’importe quelle proposition ou rencontre intégrée à Decidim.
Exemple de résultat de recherche
Vous souhaitez découvrir Decidim en action avant de lancer une consultation dans votre ville, votre entreprise ou votre association ?
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