La participation citoyenne au prisme de Jean-Jacques Rousseau – épisode 1

Introduction à notre série de l’automne

La démocratie participative est une notion empruntée par beaucoup, que ce soit en théorie ou en pratique. Chez les élu·es, journalistes, chercheur·euses, citoyen·nes, entreprises, associations etc, la démocratie participative semble s’infiltrer et se répandre dans toutes les sphères de la société. Son champ et ses formes d’applications et théorisations sont vastes, en donner une définition claire et précise ne rendrait pas honneur à son étendue. 

Il est toutefois envisageable d’essayer d’en dessiner les pourtours en se plongeant dans sa genèse théorique et sa mise en pratique actuelle. Ainsi, nous vous proposons cet automne une série d’articles qui se propose d’être conduite dans une double perspective philosophique et sociologique en s’efforçant d’analyser les différentes thèses façonnant la démocratie participative et d’offrir une perspective critique de sa mise en œuvre actuelle.

Participation citoyenne : genèse et pratique actuelle

Cette réflexion s’inscrit dans un contexte de prolifération d’initiatives et de pratiques participatives et délibératives citoyennes qui se présentent comme des solutions complémentaires ou alternatives aux processus établis au sein de la démocratie représentative contemporaine1. Les années 1980 témoignent d’une réelle émergence de la démocratie participative en France. Celle-ci englobe différents dispositifs participatifs ayant pour objectif général l’implication des citoyens ordinaires dans la discussion des enjeux collectifs et dans le processus décisionnel de choix publics. La pluralité des pratiques et des mises en œuvres institutionnelles ou citoyennes dans une diversité de champs peut rendre compte des aspects paradoxaux et ambivalents que la démocratie participative peut revêtir, rendant complexe la délimitation d’une définition d’un champ idéologique ou pratique de la participation.

Parmi la diversité d’auteurs ayant théorisé la démocratie sous de multiples acceptions, la démocratie participative invoquée comme objet d’étude pousse à réduire une étude des concepts démocratiques à deux auteurs principaux, Rousseau et Habermas. 

La pensée républicaine de Rousseau

En effet, selon Loïc Blondiaux la démocratie participative à été théorisée suivant deux filiations distinctes en philosophie politique. Le premier courant théorique se manifeste dans les années 1970 en s’inspirant de la pensée républicaine de Rousseau. Celle-ci défend le fait que « […] la démarche participative est justifiée par le souci de rapprocher le fonctionnement des démocraties contemporaines d’un idéal démocratique qui a pu être expérimenté à Athènes par exemple, dans lequel la participation à la formation de la loi est une condition de la liberté et de l’épanouissement des citoyens»2. Dès lors, cette perspective de la démocratie rejoint ainsi, la thèse développée par Rousseau dans Le contrat social qui énonce les conditions théoriques de la démocratie comme vecteur de volonté générale par la souveraineté du peuple. Il établit que le pouvoir du peuple soit exercé par le peuple. 

Théorie de la démocratie délibérative

Le second courant de pensée apparaît dans les années 1980, il se réfère à l’appellation de théorie de la démocratie délibérative. En s’appuyant sur les travaux de Jürgen Habermas, il est considéré que la légitimité d’une décision démocratique se fonde en amont sur la participation de tous les citoyens concernés à un débat. Ceux-ci doivent pouvoir être interchangeables pour que la décision ne soit pas le résultat d’une valeur économique ou d’une position sociale. De plus, leur argumentaire doit faire foi de sincérité de volonté générale et ne doit être sous l’influence de la contrainte. Selon la doctrine habermassienne, la conversation citoyenne est susceptible de faire émerger un consensus général. Les modèles d’intervention de la participation citoyenne sont donc différents dans chacun de ces courants théoriques. Ainsi, la conjonction de ces deux courants est ce qui semble fonder la mise en œuvre de cet idéal participatif. 

C’est en partant des considérations de Loïc Blondiaux relatives aux fondements théoriques de la participation que cette réflexion ambitionne notamment de questionner le caractère rousseauiste de la démocratie participative. La démocratie participative connaît une relation particulière à la théorie et la pratique tant sa pratique à été sujette à une théorisation et objectification rousseauiste, non l’inverse, et que sa pratique actuelle semble être affiliée à la pensée rousseauiste. C’est alors à partir des fondements théoriques émanant eux-mêmes d’une mise en pratique que l’interrogation se porte. Dans quelle mesure est-ce que la théorie de la démocratie participative s’inspire de la pensée rousseauiste ? Est-ce que la pratique de la démocratie participative peut réellement être associée à Rousseau ? Qu’en est-il de sa compatibilité philosophique dans sa mise en pratique au sein des initiatives, démarches ou dispositifs participatifs ?

L’existence d’un certain décalage entre la théorie rousseauiste de la participation du citoyen et sa pratique sous l’égide de la démocratie participative constitue l’hypothèse principale qu’il s’agit ici de questionner. 

La démocratie participative relevant de la conjonction de la théorie et de la pratique.

Cette dimension offre la possibilité d’un questionnement réflexif faisant un aller-retour entre théorie philosophique et pratique empirique. Pour se faire, la réflexion théorique tend à comprendre et questionner la place de Rousseau parmi les différents chercheurs de la participation. La dimension empirique se propose d’observer le milieu des civic-techs par leur mise en place de démarches participatives, notamment les budgets participatifs dans des villes françaises. 

Le prochain article de cette série dédiée à Rousseau et la participation citoyenne se centralisera sur la notion de crise de la démocratie représentative en essayant de comprendre si nous expérimentons une réelle crise de la représentation ou si c’est ce modèle démocratique en lui-même qui est susceptible de conduire aux problématiques que nous rencontrons. À suivre dans « La participation au prisme de Rousseau : peut-on parler d’une crise de la représentation ? »


1 Blondiaux, Loïc; Sintomer, Yves, L’impératif délibératif. In: Politix, vol. 15, n°57, Premier trimestre 2002. Démocratie et délibération, sous la direction de Loïc Blondiaux et Yves Sintomer. p. 17-35. 

2 Blondiaux, Loïc, Le débat public : une expérience française de démocratie participative, La Découverte, 2007

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