Le débat qui oppose la démocratie participative et la démocratie représentative revient fréquemment agiter le secteur de la participation citoyenne, le monde des élus et plus largement le débat public. Cette opposition ne résiste pourtant pas à l’examen. On constate partout l’hybridation des formes participatives et représentatives. Dans ce contexte, des élus prennent des initiatives innovantes. Cas pratique avec la députée du Val de Marne, Maud Petit.
Une innovation locale d’hybridation démocratique
La démocratie participative est de plus en plus présentée non pas en tant qu’alternative qui vise à remplacer complètement la démocratie représentative traditionnelle, mais en tant qu’ensemble de pratiques complémentaires à celle-ci.
Les dispositifs de concertation, de consultation citoyenne, et d’assemblées régulières peuvent combler le vide structurel laissé par les institutions représentatives qui se saisissent de la volonté directe des citoyens uniquement lors des élections. Cette hybridation est de plus en plus sollicitée par les citoyens, mais pour l’instant elle ne se concrétise qu’au sein d’expérimentations non réglementées. À l’échelle locale, la volonté politique des élus arrive désormais à impulser une pratique régulière de la consultation citoyenne à travers des formats de plus en plus structurés, tel que le budget participatif ou bien les conseils de quartier.
→ Pour aller plus loin, voir notre article : Budgets participatifs en France : 5 exemples actuels pour les collectivités.
Au niveau national, les institutions se lancent de plus en plus dans des expérimentations ambitieuses : tel est le cas de la Cour des Comptes qui a ouvert son agenda de travail aux contributions citoyennes.
→ Pour aller plus loin, voir notre article sur la plateforme citoyenne de la Cour des Comptes.
De plus, le numérique a rendu possible la montée en puissance des formats traditionnels de participation citoyenne : c’est le cas du droit de pétition, un droit civique qui date de la révolution française, aujourd’hui rendu accessible et capable de monter en échelle plus rapidement à travers les plateformes numériques et le système d’identification France Connect.
→ Pour aller plus loin, voir la plateforme des pétitions du Sénat.
Les élus nationaux ont été peu touchés jusqu’à présent par les dynamiques de consultation citoyenne : les exemples les plus remarquables concernent les nouveaux formats de campagne électorale, comme celle de Quitterie de Villepin, candidate indépendante aux législatives 2022 dans la 2ème circonscription de Paris. Cela pourtant ne couvre que la phase antérieure aux élections.
Etude de cas – consultation sur un projet de construction d’un centre pénitentiaire
En revanche, aujourd’hui on présente le cas d’une élue au Parlement qui a décidé de sa volonté de consulter les habitants de sa circonscription pour orienter son positionnement et ses travaux autour d’un sujet spécifique : la députée MoDem Maud Petit, élue à l’Assemblée nationale dans le Val-de-Marne (94), qui a demandé l’avis des habitants de la commune de Noiseau par rapport au projet de construction d’une prison.
Le projet d’ouverture d’un établissement pénitentiaire qui vise à accueillir environ 750 détenus date de 2018, lors du lancement du « programme 15 000 » par le ministère de la justice. Ce programme a pour objectif de réduire la surpopulation des prisons à travers l’ouverture de 15 000 places additionnelles à horizon 2027.
Le territoire de la commune de Noiseau, 4400 habitants dans la 4e circonscription du Val-de-Marne, a été identifié comme le bon endroit pour construire une prison d’environ 750 places d’après les études de faisabilité. Les riverains de cette petite commune ont pourtant réagi de manière coordonnée contre ce projet. Plusieurs manifestations ont eu lieu depuis l’annonce du projet, une pétition a récolté plus de 3000 signatures. La députée Maud Petit, même en faisant partie de la majorité, a porté la voix des citoyens pendant son premier mandat, notamment en interrogeant la Garde des Sceaux au sein de l’assemblée nationale. Le projet a été stoppé par la crise du Covid. Lors de la campagne électorale, la députée s’est engagée à reconsulter les citoyens pour orienter son action au parlement par rapport à ce sujet. Après le covid, il était important pour elle de vérifier à quel point la mobilisation citoyenne vue dans les années précédentes était toujours active.
Prendre le pouls de la mobilisation citoyenne
La plateforme participative en ligne Consultons Noiseau a été lancée dans cet objectif : les habitants de la ville de Noiseau se sont exprimés pendant la période estivale, entre le 13 juillet et le 5 septembre, à travers un questionnaire anonyme. A l’issue de cette consultation, 450 réponses ont été récoltées, c’est-à-dire environ 10% de la population locale. Les résultats ont été analysés à la présence d’un huissier de justice afin d’en garantir la validité.
La quasi-totalité des répondants s’est exprimée contre le projet de construction de la prison. Une restitution publique a eu lieu lors de la réunion en présentiel du vendredi 9 septembre organisée par la députée Maud Petit. Le constat est assez clair : malgré une mobilisation importante et transpartisane pour le « non », la proportion des habitants qui ont agi est trop faible pour parler à l’Assemblée nationale au nom de toute la commune. Le plaidoyer ne peut donc pas être poursuivi légitimement, comme affirmé par la députée dans sa lettre aux noiséens et aux noiséennes.
Les bonnes pratiques à retirer de l’initiative
Cette démarche de participation citoyenne, au-delà de constituer un cas d’usage expérimental et innovant, regroupe aussi un ensemble de bonnes pratiques qui devrait s’appliquer à n’importe quelle initiative de consultation citoyenne. D’abord, le format conçu était simple et aligné avec l’objectif : un questionnaire rapide et lisible, anonyme mais contraint à la création d’un compte sur la plateforme pour éviter des doublons. Sur Decidim, dans le respect du RGPD, les réponses ne sont pourtant pas associées aux adresses mails des participants, ce qui empêche d’associer une personne à sa réponse.
Une campagne de communication très réussie a accompagné la démarche tout au long de l’été et à travers les différents canaux : brochures en papier dans les boîtes aux lettres des riverains, profils réseaux sociaux de la députée, groupes réseaux sociaux des habitants, presse locale et nationale. En plus, la supervision d’un huissier de justice à évité l’effet « boîte noire » pendant l’élaboration des résultats et a donné légitimité à une démarche non réglementée par la loi. Finalement, la réunion publique en présentiel qui a clôturé la période de consultation a permis un moment d’échange direct entre les citoyens et l’élue. « Seul bémol identifié, l’absence d’un format de réponse en papier, très utile pour permettre aux publics éloignés du numérique de s’exprimer ».
Plus important : le résultat de la consultation a été annoncé sans filtre par l’organisateur et pris en compte. Maud Petit a pris acte et reconnu que le faible taux de participation ne pouvait soutenir une prise de position au nom de toute la population. Faute de réglementation, c’est à l’organisateur de garantir une suite de consultation qui respecte ses résultats.
Faire évoluer les pratiques de politiques publique
Forte de cette première expérience, la députée Maud Petit a choisi de garder la plateforme participative et de faire rentrer la consultation citoyenne, en ligne et hors ligne, dans le cadre ordinaire de son travail au sein de l’Assemblée nationale. Cela lui permettra de garder un lien étroit avec le terrain et en particulier avec la circonscription qui a légitimé son mandat, tout en restant une représentante de l’ensemble de la population française.