IA, communs et participation citoyenne

IA, communs et participation citoyenne

L’IA n’était autrefois que dans les coulisses, aidant à recommander des films ou des publicités. Aujourd’hui, avec des modèles comme GPT et Llama, et des outils comme ChatGPT et Midjourney, l’IA devient plus visible et plus adaptable à nos besoins.

Chez Open Source Politics, Decidim et la communauté de la participation citoyenne numérique, nous réfléchissons à la manière d’adapter cette technologie à nos dispositifs démocratiques. Ce n’est pas une question facile, et nous voulons inclure l’ensemble des utilisateurs et utilisatrices de Decidim dans cette discussion.

Afin de discuter de ce sujet, nous avons organisé un webinaire le mardi 12 septembre dont voici le replay. Bon visionnage !

Le graphisme de ce repaly est tout nouveau et préfigure de la nouvelle identité graphique qui sera utilisée à partir d’octobre sur l’ensemble de nos supports de communication. Nous l’aimons beaucoup et on espère que vous aussi 😉

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Le manifeste d’Open Source Politics

Le manifeste d’Open Source Politics

Nous voulons continuer d’habiter cette planète ensemble.

Nous avons une responsabilité que nous ne prenons pas à la légère. En l’espace d’une génération, les terres où vivent actuellement des centaines de millions d’êtres humains et des milliards d’autres êtres vivants seront submergées ou rendues durablement inhabitables par le réchauffement climatique. Dès aujourd’hui, il devient difficile de reconnaître la véracité d’une information ou la provenance humaine d’un contenu en ligne. Aucun précédent historique ne nous rassure sur la résilience pacifique de nos sociétés face à ces bouleversements irréversibles, d’une violence extrême et d’une rapidité inouïe. Nous opposons à ces constats une conviction profonde : nous n’atteindrons pas des résultats radicalement différents si nous ne prenons pas nos décisions très différemment.

Nous analysons que l’élection, une fois tous les cinq ans, de personnalités représentant le plus petit dénominateur commun parmi les suffrages exprimés n’est qu’une version dégradée de l’exercice de notre souveraineté populaire. En réponse, nous promouvons une démocratie ouverte et continue, au bénéfice de la participation effective des plus larges publics à toutes les échelles et dans tous les types d’organisations. Nous agissons en contribuant au financement et au développement de communs numériques, en nous appuyant sur les recherches en sciences humaines et sociales, avec l’ambition de tendre vers la neutralité carbone de notre activité économique et la préservation d’un environnement de travail sain et épanouissant.

Nous avons toujours rejeté le solutionnisme des plateformes, pour lui préférer la technopolitique, c’est-à-dire un usage critique et stratégique des outils numériques pour élaborer et appliquer les décisions publiques et privées indispensables pour la justice sociale et climatique. Nous doutons parfois du sens et de la portée de toutes ces consultations citoyennes, qui nous animent au quotidien autant que nous les animons. Nous avons créé Open Source Politics au printemps 2016 au cœur d’un mouvement porteur d’espoir pour un renouveau démocratique qui ne s’est pas pleinement réalisé et a trop souvent été dévoyé par des mascarades. Nous avons appris en chemin, au contact de dizaines d’organisations dans le monde entier, quelles sont les conditions d’une participation réussie et les méthodes pour décider autrement.

Nous observons le vent contraire des forces croissantes qui concentrent les pouvoirs, épuisent les ressources, remettent en cause les libertés, creusent les inégalités et divisent les sociétés. Nous réagissons en nous investissant dans le champ du politique avec l’état d’esprit de hackers constructifs, en qualité de partenaire fiable pour les institutions publiques et de relais de confiance pour les participants qui aspirent à être considérés avec sérieux et sincérité. Nous nous formons en entreprise ESS parce que nous restons convaincus que l’expérience démocratique mérite d’être vécue, que la philosophie de l’open source a déjà gagné mais ne le sait pas encore, et parce que nous voulons continuer d’habiter cette planète ensemble.

Gardons le contact

10e rencontre du Club Decidim francophone

10e rencontre du Club Decidim francophone

La rencontre 2023 du Club des utilisatrices et utilisateurs francophones de Decidim aura lieu le 6 octobre à Paris, à l’Urban Lab, dans les locaux d’Open Source Politics.

C’est un moment essentiel de la vie d’Open Source Politics et plus globalement de la communauté francophone de Decidim, alors nous comptons sur votre participation !

Programme de l’événement

Lors de cette journée, nous vous proposerons des conférences et ateliers d’approfondissement autour de vos démarches, des enjeux de la participation citoyenne et de Decidim. Vous aurez l’occasion de rencontrer d’autres membres du monde de la participation citoyenne open source et d’échanger autour de thématiques et enjeux communs.

Accueil — salle de l’auditorium (au rez-de-chaussée à gauche)

  • 9 h 30 – 10 h : Accueil et petit déjeuner
  • 10 h – 10 h 45 : Introduction sur les actualités d’Open Source Politics
  • 11 h –12 h : Actualités Decidim et présentation de la nouvelle feuille de route ouverte.
  • 12 h 15 – 13 h 30 : Pause repas et échanges entre pairs
  • 13 h 30 – 14 h 45 : De nouveaux outils pour répondre aux nouveaux besoins de la participation citoyenne. Ce sera l’occasion pour nous de vous présenter les outils que nous avons récemment intégrés à notre offre de service.
  • 15 h – 16 h : Plénière sur les organisations apprenantes, le logiciel libre et la médiation numérique. Cette partie sera présentée par Emmanuelle Roux, cofondatrice du Chaudron.io, ex-membre du Conseil National du Numérique et chevalière de l’ordre national du Mérite.
  • 16 h 30 : Conclusion de la journée

Cette journée vous permettra :

  • d’apprendre les dernières nouveautés sur Decidim ;
  • de rencontrer d’autres personnes intéressées par la participation citoyenne ;
  • et partager vos expériences.

Inscrivez-vous dès maintenant ! L’inscription est gratuite mais obligatoire. Pour vous inscrire, rendez-vous sur le site du Club Decidim francophone.

Nous espérons grandement vous retrouver pour cette journée centrée sur la participation citoyenne. En attendant, retrouvez le bilan de la rencontre 2022 où était intervenu Sébastien Shulz, docteur/enseignant en sociologie et initiateur du collectif pour une société des communs. Il était venu nous parler de sa thèse « Transformer l’État par les communs numériques : Sociologie d’un mouvement réformateur entre droit, technologie et politique (1990-2020) ».

Toute l’équipe d’Open Source Politics vous souhaite une belle rentrée !

La participation à l’Université de Caen Normandie

La participation à l’Université de Caen Normandie

Journaliste vie de campus et chargé d’aide au pilotage démocratie participative à l’Université de Caen Normandie, Arthur Le Coz supervise aujourd’hui les concertations de l’Université au support d’une plateforme Decidim éditée par Open Source Politics. 

Durant son mandat de vice-président étudiant du regroupement des universités et des établissements d’enseignement supérieur en Normandie, Arthur Le Coz a déjà pu mettre en place des assises de la vie étudiante à l’échelle régionale. Son poste à l’Université de Caen a été créé à l’occasion de son recrutement, durant la crise sanitaire, reflétant alors le souhait de la nouvelle équipe de direction de mettre en place des processus de démocratie participative afin d’associer davantage la communauté à l’élaboration de schémas directeurs ou de plans pluriannuels. 

L’université en quelques chiffres

  • 13 campus
  • 6 villes
  • 3 départements
  • 33 000 étudiant.e.s

Peux-tu nous dresser un  état des lieux des démarches participatives jusqu’ici menées par l’université ? A qui s’adressent ces démarches ? 

Nous avons mis en place plusieurs concertations sur Decidim. Tout d’abord une concertation sur le projet d’établissement (c’est-à-dire le contrat quinquennal de l’université). Cette concertation concernait l’ensemble de la communauté universitaire : les étudiant·es, le personnel administratif, les enseignant·es-chercheur·euses, les chercheur·euses invité·es. Nous avons ensuite expérimenté un premier budget participatif, cette fois à destination seulement des étudiant·es. Au printemps 2022 nous avons mis en place une concertation sur le dispositif “Sciences avec et pour la Société”. Cette concertation s’inscrit dans le prolongement du projet d’établissement d’ouverture de la recherche à la société. A l’automne 2022 nous avons lancé une concertation qui s’adresse à l’ensemble de la communauté de l’université sur un thème d’actualité : la sobriété énergétique ! Enfin, nous avons initié début 2023 le deuxième budget participatif étudiant, cette fois en doublant le budget ! Avec un peu plus d’un an de recul sur nos démarches participatives, cela va être l’occasion pour nous de nous reposer les bonnes questions, de prendre en compte les données et de réfléchir sur la manière dont on peut améliorer les choses. 

Quels sont les différents modes de recueil de la participation des étudiants à l’Université de Caen Normandie ?

En tant qu’établissement de formation et de recherche nous avons plusieurs outils de sondage : on utilise limesurvey sur certains sujets (par exemple sur les problèmes d’addiction, le sport ou la santé). Nous organisons aussi des temps d’échange directement sur les campus sans recours à l’outil numérique. Nous avons également l’ensemble de nos instances, où des étudiant·es sont élu·es : à l’échelle de l’université, mais aussi de nos unités de formation et de recherche (UFR). Dans le cas du schéma directeur de la vie étudiante, nous venons de mettre en place une concertation en ligne pour que les dates des rencontres soient disponibles mais l’essentiel de la participation se fait de manière physique. L’outil numérique vient compléter ce qu’on fait en présentiel avec pour objectif d’ouvrir un espace de propositions après ces temps de rencontres. 

L’université de Caen Normandie est un établissement pluridisciplinaire qui s’étend sur 13 campus dans 6 villes, et sur 3 départements différents. Les problématiques ne sont pas les mêmes sur les différents campus car il y a notamment des différences dans l’accès au soin, les moyens de transport, ou encore l’accès à la culture.

Des personnes qui sont en charge de la vie étudiante vont directement sur les différents campus et échangent avec tous les acteurs (étudiant·es, personnes engagées ou associations étudiantes).

Des ateliers en présentiel comprennent une présentation du schéma directeur, puis des temps d’échanges informels avec les étudiant·es en petit groupe. Ce sont les élus qui viennent recueillir la parole et animent les temps d’échange.

Pourquoi avez-vous fait le choix d’un budget participatif ?

On a voulu expérimenter un budget participatif à destination des étudiant·es car la concertation sur le projet d’établissement concernait l’ensemble de la communauté de l’Université, sur l’ensemble des aspects que couvre un établissement d’enseignement supérieur comme la recherche ou le développement international (ce qui est un champ très large à moyen et long terme sur lequel il peut être difficile de se projeter).
Nous avons lancé cette année une deuxième édition du budget participatif étudiant : alors que le premier budget s’élevait à 30 000 euros, cette seconde édition double le budget à hauteur de 60 000 euros. 

Quelle est la différence entre le projet d’établissement quinquennal et le budget participatif ? 

Lorsqu’on associe la communauté universitaire pour établir un projet d’établissement, les propositions sont soumises à un arbitrage politique qui vérifie la cohérence des propositions avec l’ensemble du plan d’action. Quand on est sur un exercice comme celui d’un schéma directeur sur 3, 4 ou 5 ans, l’étudiant·e va avoir du mal à se projeter, et c’est normal ! En effet, la personne ne va pas forcément assister à la concrétisation des lignes directrices co-décidées.
La participation à un budget participatif est différente car les participant·es vont pouvoir assister concrètement à la réalisation des projets avant la fin de leur cursus universitaire. Par exemple, parmi les 3 projets lauréats du premier BP, l’un d’entre eux demandait des actions concrètes de lutte contre la précarité menstruelle. Il a rapidement été réalisé par l’installation de distributeurs de protections hygiéniques sur l’ensemble de nos campus (voir article sur la lutte contre la précarité menstruelle).  

Le budget participatif fonctionne avec un budget issu de la Contribution Vie Étudiante et de Campus (CVEC) qui correspond à une taxe de 95 euros que paient les étudiant·es chaque année. Notre responsabilité est que les étudiant·es puissent comprendre comment est utilisée cette taxe et qu’ils puissent bénéficier des investissements conséquents. Le budget participatif répond à ces enjeux, il leur permet de directement s’exprimer sur leurs besoins, puis de les prioriser par le vote et enfin d’avoir rapidement un “retour sur investissement” de cette taxe qui est un véritable impôt. Le résultat : les étudiant·es sont davantage mobilisés sur le budget participatif, qui est plus concret et qui permet de se projeter à court terme.

Quelles pistes d’amélioration as-tu déjà identifié pour le prochain budget participatif ?

Nos seuls relais sur le terrain sont pour le moment les associations étudiantes. Nous n’avons pas encore de relais direct sur les campus mais ceci va se structurer très prochainement à travers la création d’un bureau de la vie étudiante et le recrutement d’un·e chargé·e de mission vie étudiante rattaché·e à la direction générale des services. Un levier pertinent que nous n’avons pas encore actionné sur le budget participatif c’est aussi le recours à des emplois étudiants en tant qu’ambassadeur du budget participatif. 

Quels freins à la participation étudiante as-tu pu identifier ?

Les aspects multi-campus et multi-territoire constituent un frein important. Cela se traduit notamment dans les propositions du budget participatif qui portent surtout les 2 ou 3 principaux campus de l’université c’est-à-dire ceux qui accueillent le plus d’étudiants. A l’inverse, seule une petite volumétrie de propositions est issue de petits campus ou de campus situés hors de la ville de Caen. Pourquoi ? Le sentiment d’appartenance à l’université varie fortement en fonction de la localisation du campus, selon que celui-ci soit localisé dans la ville de Caen ou en dehors.
Ce frein n’a pas su être surmonté par les stratégies de “faire venir”, jusqu’alors préférées aux stratégies “d’aller vers”. Nous tâcherons de faire évoluer cela prochainement. 

Toi qui a une casquette de communiquant, quelle stratégie de communication as-tu mis en place pour ces différentes démarches ? Qu’est ce qui a bien fonctionné selon toi et qu’est ce qui n’a pas fonctionné ? 

Quand on est dans une université nous avons un contexte assez différent de celui d’une collectivité territoriale. Un des avantages est que l’on dispose de l’ensemble des adresses mail et que les étudiant·es les consultent assez régulièrement. Les mails sont des outils qu’on peut utiliser ponctuellement et qui sont utiles : dès qu’on envoie un mail, sur les 24h qui suivent on constate un trafic assez important sur les concertations. On fait surtout de la communication sur les réseaux sociaux et d’autres outils internes, comme notre newsletter étudiante. Notre stratégie de communication s’appuie donc sur les outils numériques. Le meilleur conseil que je pourrais donner, au-delà d’utiliser des affiches et des posts sur les réseaux, c’est d’avoir du temps d’échange en présentiel. Dans ce sens, on gagnerait à avoir des personnes ambassadrices (issues des associations étudiantes ou des référent·es vie de campus), qui aideraient les étudiant·es au détour d’un café à émettre leurs idées sur la plateforme numérique. 

Enfin, mettre en place un dispositif de participation hybride (c’est-à-dire un dispositif de participation en ligne et hors ligne) permet de toucher tout le monde. Chacun·e ayant des moyens d’échanger et d’interagir différents, il est important d’être multi-canal. Cela est autant vrai pour une démarche participative que pour une stratégie de communication.

Quels conseils donnerais-tu à une université souhaitant lancer une première démarche de participation ? 

Faire un bon benchmark et échanger avec d’autres universités ! D’une université à l’autre on observe des problématiques et des méthodologies différentes, mais il y a aussi des similitudes. On ne peut pas se contenter de calquer ce qui se fait dans une collectivité territoriale, il faut s’inspirer des expériences spécifiques des autres universités pour trouver sa propre méthode. 


Crédits photos :

  • Portrait d’Arthur Le Coz par ©Direction de la communication de l’université de Caen Normandie
  • Photo du groupe étudiant par © Lina Prokofieff
Un commun numérique pour un commun naturel 

Un commun numérique pour un commun naturel 

En janvier 2023 Eau de Paris lance avec l’aide des équipes d’Open Source Politics son premier budget participatif sur la plateforme de participation open source Decidim ! Une démonstration de la manière dont la gestion d’un commun naturel peut s’appuyer sur un commun numérique. Cette ouverture à la contribution des citoyens peut être considérée comme un premier pas vers une gouvernance collective d’un commun tout en posant la question de la valeur émancipatrice vis-à-vis des libertés civiques, politiques et collectives qu’une telle démarche est susceptible de porter. 

De la gouvernance d’un commun numérique…

Les communs, tant dans leur dimensions théorique que pratique, sont aujourd’hui devenus une notion investie de manière plurielle qui envisage des formes d’organisation offrant un cadre de pensée et d’application alternatif à la notion de propriété privée ou étatique. Dans la préface de “Propriété et communs. Idées reçues et propositions”, Benjamin Coriat dépeint les communs comme étant un moyen de sortir du monopole dualiste du marché ou de l’État. Par conséquent, on passe d’une notion de propriété exclusive à celle de la propriété inclusive. Cela, par une gouvernance du commun qui implique de la délibération de la communauté de citoyens qui la compose. “En introduisant de la délibération dans la gestion des ressources partagées, le commun garantit à la fois un progrès de la démocratie et les conditions de préservation de la ressource contre son épuisement précoce. Démocratie et Écologie: le commun est au centre des deux grands défis majeurs de ce siècle”

Ainsi, en sollicitant la pensée de B. Coriat, il est ici posé en tant qu’acception générale que les différentes réflexions sur les communs proposent de nouvelles approches pour les relations aux biens, à la démocratie ou encore à l’environnement. C’est en prenant en compte l’ampleur que comprennent ces trois différents champs d’étude qu’il s’agit ici d’interroger ces rapports aux biens, à la démocratie et à l’environnement dans le cas de la mise en place d’un budget participatif par Eau de Paris sur un bien commun numérique Decidim. 

Ce cas d’usage relève d’un intérêt particulier tant il associe deux acteurs entretenant une relation étroite à un commun, Eau de Paris étant gestionnaire de l’eau parisienne et Decidim étant lui-même un commun numérique favorisant une participation citoyenne démocratique. Dans leur histoire et leur mode de fonctionnement, ces deux entités sont liées à des structures municipales. Ce rapport à une instance publique pose alors la question de la possibilité d’existence de réalisation d’un commun qui selon l’acception de B. Coriat est en fait une alternative au marché et à l’État. De par la manière dont elles entrent en résonance sur certains points, et le projet du budget participatif auquel elles sont associées, Eau de Paris et Decidim permettent alors une réflexion sur la manière dont un commun naturel peut-être géré par un commun numérique avec un focus sur l’essence d’un commun au sein duquel il existe des implications d’instances publiques.

à la gestion collective d’un bien commun naturel

Avant de se plonger dans le cas du budget participatif d’Eau de Paris, il semble nécessaire de brièvement définir ce qu’est un bien commun et ce pourquoi il est généralement accepté qu’il doit être géré et maintenu de manière collective.
Un commun, ou “bien commun”, désigne une ressource ou un ensemble de ressources partagées collectivement par une communauté ou une société. Cette notion répond donc à trois prérogative indissociables qui sont : 

  • Une ressource collective définie
  • Une collectivité déterminée
  • Un mode de gouvernance collectif 

C’est donc son usage et sa structure de référence qui qualifie un bien ou un service comme commun et non pas sa nature. Au sein des communs réside toutefois une distinction exposée par Elinor Ostrom. Elle dissocie les biens communs non-exclusifs et rivaux et les biens communs non-exclusifs et non-rivaux. La différence réside dans le fait que des biens communs non-exclusifs et non-rivaux n’empêchent pas leur consommation par une autre personne. Tel est le cas pour le bien commun numérique de participation Decidim, son utilisation par une entité ne prive pas une seconde ou x autres entité de l’utiliser. En revanche, dans le cas des bien communs non exclusifs rivaux, sa consommation d’une unité par une entité empêchera une autre de l’utiliser parce que celle-ci ne sera pas plus disponible. Par exemple, le bien commun qu’est l’eau est une ressource finie et est donc considérée comme tel. 

Le cas d’usage d’Eau de Paris et Decidim

Qui est Decidim ?

Decidim (qui signifie « nous décidons » en catalan) est une plateforme numérique pour une démocratie continue et participative. Decidim est né en 2016 sous l’impulsion de la Mairie de Barcelone qui souhaite développer une infrastructure numérique lui permettant de co-construire son plan d’action municipal. La communauté Decidim est maintenant une association qui à pour objectif d’être indépendante et de s’auto-gouverner. En effet, une grande majorité des financements de Decidim sont d’ordre public, comment rester indépendant lorsque des implications si fortes sont présentes ? Sébastien Schulz, dans sa thèse Transformer l’État par les communs numériques : sociologie d’un mouvement réformateur entre droit, technologie et politique, montre que les membres de la communauté Decidim essayent “d’instituer l’autonomie d’une communauté théorique par le droit (A), qu’ils cherchent ensuite à structurer une communauté réelle à l’extérieur de l’administration (B) et enfin de stabiliser cette dernière et la relation qu’elle entretient avec le “secteur public” dans le temps (C) ». Ainsi, dans les statuts de l’association, il est indiqué qu’aucune instance publique ne peut devenir membre afin de préserver toute indépendance. De plus, par un contrat entre Barcelone et l’association Decidim, il va s’opérer un transfert de la propriété publique Barcelonaise à la propriété commune Decidim. Sebastian Schulz conclut la discussion sur l’indépendance de Decidim vis-à-vis de la municipalité en exprimant le fait que bien que des initiatives aient été prises pour se préserver de toute relation de dépendance, le lien entre Barcelone et Decidim reste très fort.

Le cas de Decidim montre de manière parlante la manière dont il est complexe de mettre en œuvre un commun excluant tout lien avec une instance publique dans ce cas précis. Le commun au sens de B. Coriat, vu ci-avant, n’est alors pas tout à fait représenté par Decidim. Mais au-delà de savoir si cela remet en cause l’existence de Decidim en tant que commun, il est possible d’interroger la possibilité d’un commun qui soit tout à fait indépendant du marché ou d’une instance publique en étant tout de même une alternative réelle à ce monopole dualiste. 

Qui est Eau de Paris ? 

Parce que cela ne coule pas de source 😉, il semble ici pertinent de contextualiser la genèse de l’entreprise publique Eau de Paris. En effet, son histoire permet de comprendre et saisir les enjeux qu’elle défend et les engagements dans lesquels elle s’inscrit. 

Eau de Paris est une régie municipale qui est responsable de la gestion et de la distribution de l’eau potable dans la ville de Paris. Cette entité est chargée d’assurer l’approvisionnement en eau de qualité pour les habitants, les entreprises et les institutions de la capitale. La création d’Eau de Paris en 2008 acte la remunicipalisation de la gestion de l’eau parisienne qui avait alors été déléguée à deux entreprises privées. 

Bien que la remunicipalisation ait représenté un coût conséquent de 30 millions d’euros s’est avérée être profitable sur le long terme puisqu’en 2016, elle a conduit à un bénéfice de 44 millions d’euros. Cela en maintenant une baisse des prix pour les usagers par rapport à ceux appliqués par le précédent mode de gestion. Cette remunicipalisation est notamment portée par une volonté d’une exigence démocratique et de transparence dans la gestion de la ressource. 

Le budget participatif d’Eau de Paris

Rappel : un budget participatif, qu’est-ce que c’est ? 

De l’ancien français « bougette » qui signifie un « sac servant de bourse ». Il s’agit d’un processus de conception et d’affectation des finances publiques sur un territoire donné. Né en 1989 à Porto Allègre au Brésil ce dispositif allie la participation et la délibération par le dépôt d’idées et le vote. Le budget participatif permet au citoyen de prendre part de manière active à la vie de la cité en contribuant à une partie de l’allocation budgétaire. Une telle démarche permet de restaurer un lien de confiance entre élus et citoyens en mettant en place un dispositif de participation qui garantit le respect des engagements pris par toutes et tous. Depuis une dizaine d’années, les budgets participatifs se développent à travers le monde, en 2020, 170 budgets participatifs se sont tenus à travers la France. L’essor de ce dispositif s’explique notamment par le développement de logiciels de participation numérique libre ou privés. En effet, 70% de la participation au budget participatif se fait numériquement. L’enjeu numérique est donc particulièrement présent pour les entités souhaitant mettre en place ce dispositif. 

Le choix d’une gouvernance ouverte

Eau de Paris à fait le choix de s’engager dans une gouvernance ouverte sur la société civile avec un modèle de gestion transparent. Aussi, dans la continuité de cette orientation, elle souhaite davantage renforcer le lien avec les usagers d’Eau de Paris en les invitant notamment à participer à l’allocation d’une enveloppe budgétaire. C’est dans cette perspective qu’Eau de Paris à fait appel à Open Source Politics pour déployer leur plateforme de participation Decidim. Le choix de Decidim s’explique par le caractère libre et open source du logiciel, la communauté qui la compose et la transparence démocratique qu’il propose. La participation et la contribution à un bien commun ont été déterminantes dans cette décision. Ainsi, c’est une première en France qu’un bien commun naturel, l’eau soit, sur un champ très précis délimité en amont, géré sur un bien commun numérique, Decidim. 

Le budget participatif d’Eau de Paris est d’une enveloppe de 250 000€ qui s’adresse à l’ensemble des personnes vivant ou travaillant à Paris. Elles sont alors invitées à déposer des idées selon différentes thématiques : 

  • Accès à l’eau potable dans la ville et rafraîchissement
  • Eau potable et sport/loisirs
  • Eau potable et solidarité (accès à l’eau potable pour les plus précaires, canicule)
  • Eau potable et alimentation durable
  • Economie d’eau potable
  • Education à l’eau et à l’environnement

Un exemple pionnier

La phase de dépôt d’idées est un succès avec 53 propositions déposées sur la plateforme Decidim. Après que les services d’Eau de Paris aient étudié la faisabilité des différents projets, les habitants et travailleurs de Paris ont la possibilité de voter pour leurs projets favoris. Eau de Paris devra réaliser les projets lauréats dans la limite de l’enveloppe budgétaire disponible. 

Cet exemple pionnier dans la gestion de la ressource eau permet d’acculturer les usagers à prendre part à une telle responsabilité dans l’action collective pour la gestion d’un commun. Bien que, cela s’exerce dans un espace relativement limité et ne donne pas encore lieu à une prise de décision des usagers au sein des instances de gouvernance, cette initiative laisse espérer un développement de ces pratiques en faveur d’une gouvernance plus ouverte et composée de collèges différents pour la protection des communs. 

Ce cas d’usage permet de mettre en valeur à la fois les modalités de création et de gestion d’un commun tel que Decidim et la manière dont un commun naturel s’en saisit pour initier l’ouverture d’une gouvernance partagée. Bien que les difficultés d’indépendances vis-à-vis des instances publiques persistent, ce cas d’usage n’invalide pas la perspective d’une alternative au modèles existant de marché ou état. En effet, l’association Decidim à montré qu’il est possible d’effectuer une propriété publique pour une propriété commune. De plus, cela permet d’ouvrir la discussion quant à la nécessité d’une gouvernance et d’une gestion d’un commun par un autre commun numérique dans ce cas, de manière à favoriser une transparence et ainsi une confiance au sein de la communauté. 


Crédit photos : plaque du bâtiment d’Eau de Paris par Jean-François Gornet de Paris, France, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons et logo d’Eau de Paris par ©EAU DE PARIS.

Conversation avec le professeur Yascha Mounk sur le fonctionnement des démocraties diverses…

Conversation avec le professeur Yascha Mounk sur le fonctionnement des démocraties diverses…

et la place (le cas échéant) des mécanismes participatifs et délibératifs

Nous avons interviewé le professeur Yascha Mounk à propos de son livre « La grande expérience : les démocraties à l’épreuve de la diversité », qui réfléchit sur les conditions qui permettent à la démocratie de s’adapter aux sociétés dont la diversité culturelle est en augmentation. Notre objectif était de comprendre si, selon lui, les formats de démocratie participative et délibérative peuvent faciliter cette adaptation. Sa réponse est mitigée : les nouvelles pratiques démocratiques peuvent jouer un rôle positif, mais uniquement si d’abord des efforts sont faits pour augmenter la cohésion sociale.

Pourquoi les démocraties diverses s’effondrent et comment elles peuvent perdurer

Il y a quelques mois, deux membres de l’équipe de Open Source Politics, Simonas et Giulia, ont lu The great experiment: why diverse democracies fall apart and how they can endure (en français « L’expérience grandiose : pourquoi les démocraties diverses s’effondrent et comment elles peuvent perdurer »), écrit par le professeur Yascha Mounk. Dans ce livre, il décrit les défis que la diversité culturelle représente pour les sociétés et propose des perspectives sur la manière dont les démocraties peuvent relever ces défis non seulement pour s’adapter aux changements inévitables qu’elles traversent, mais aussi pour prospérer.

Chez Open Source Politics, nous croyons fermement que les mécanismes de démocratie participative et délibérative sont essentiels pour donner la parole à une plus grande partie de la population, en particulier à ceux qui sont laissés pour compte par les débats publics traditionnels et la démocratie représentative, tels que les minorités et les communautés marginalisées. Cependant, notre expérience ainsi que plusieurs recherches ont montré que les formats délibératifs et participatifs sont sujets à des biais de surreprésentation de certaines parties de la société et d’autocensure d’autres parties. Par conséquent, il arrive parfois que les initiatives participatives reflètent les biais et les exclusions déjà présents dans la politique traditionnelle.

Pour aller plus loin : OSP explore : les données de participation et les motivations de l’engagement citoyen + Qui sont les absent·es de la participation ? 

Pour ces raisons, nous avons lu le livre du professeur Mounk avec un grand intérêt, cherchant à savoir quelle pourrait être, selon lui, la place de la démocratie délibérative et participative dans la création d’un espace civique plus inclusif, adapté à la diversité de notre société contemporaine. Notre point de départ était le suivant : les institutions et les mécanismes qui régissent nos démocraties ont été conçus à une époque où la société était assez homogène sur le plan culturel. Maintenant que ce n’est plus le cas, ces institutions ne sont peut-être plus en mesure de représenter la société dans son ensemble, et elles doivent donc évoluer et se tourner vers quelque chose de nouveau, un paradigme qui, selon notre vision, inclut la démocratie délibérative et participative.

À notre grande surprise, il n’y avait aucune référence à la nécessité de faire évoluer les institutions et les formats de la démocratie. En ce qui concerne les recommandations politiques permettant aux démocraties diverses de prospérer, le professeur Mounk insiste sur les conditions sociales qui favorisent et facilitent la coexistence, le partage et la coopération au sein et entre les différentes communautés, sous l’égide d’un État où tous les citoyens peuvent se sentir appartenir. Ces conditions sont la croissance économique, de forts efforts pour mettre en œuvre l’égalité des chances, des politiques de redistribution, la liberté vis-à-vis de l’État mais aussi de sa communauté d’origine. Il résume efficacement ce scénario dans la métaphore d’un parc public : un endroit sûr et agréable où les gens peuvent venir pour diverses raisons, seuls ou en groupe, et où ils peuvent à la fois rester avec leur groupe et interagir avec les autres.
Lorsque le professeur Mounk a présenté son livre pendant une lectio magistralis à Sciences Po en octobre 2022, nous avons saisi l’occasion et lui avons demandé de l’interviewer pour approfondir nos réflexions : il a gentiment accepté notre demande.

Yascha, Simonas et Giulia en pleine interview.

Une question préliminaire : avez-vous une opinion sur la démocratie participative et délibérative ?

« Je suis partagé à propos de la démocratie participative et délibérative. J’ai fait mon doctorat en théorie politique à une époque où les notions de démocratie délibérative étaient souvent un peu naïves, cette idée de rassembler les gens, de s’asseoir autour d’une table et de discuter les uns avec les autres, et que le résultat de ces délibérations aurait abouti à la préférence normale exacte de la population. Je trouvais cela irréaliste. À l’ère du populisme, nous avons commencé à réaliser que la délibération publique est beaucoup plus chaotique et conduirait souvent à des résultats qui peuvent être assez inconfortables pour ceux qui ont tendance à promouvoir l’idée de la démocratie délibérative.

D’autre part, l’une des promesses fondamentales de notre système politique est de traduire les opinions populaires en politiques publiques, et je pense que l’une des raisons pour lesquelles les populistes ont prospéré ces dernières années est qu’il existe un véritable déficit démocratique, nous avons échoué à écouter ce que veulent les gens. De plus, plus j’ai passé de temps à écouter des groupes de discussion et à examiner des sondages d’opinion, plus je suis devenu optimiste, notamment en ce qui concerne les attitudes des citoyens dans les pays européens et en Amérique du Nord (qui sont l’objet de mes recherches). Le résultat n’était pas toujours en accord avec mes préférences, mais la plupart des citoyens sont des êtres humains décents. Ils veulent le meilleur pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs concitoyens. C’est pourquoi je suis totalement en faveur de la création de nouvelles formes de démocratie participative et délibérative, en commençant par le niveau local et régional. »

« Je suis partagé à propos de la démocratie participative et délibérative […] je pense que l’une des raisons pour lesquelles les populistes ont prospéré ces dernières années est qu’il existe un véritable déficit démocratique, nous avons échoué à écouter ce que veulent les gens. »

Yascha Mounk

Dans votre livre, vous utilisez une métaphore des parcs publics. Dans notre vision, la démocratie délibérative est une version institutionnalisée des parcs publics. Ce sont des endroits où l’on essaie de rassembler de nombreuses personnes différentes, et même si votre image repose sur la spontanéité et la liberté de participer, pensez-vous qu’il y ait une place pour cette institutionnalisation et pensez-vous que les gens accepteraient ?

« Je pense que la clé réside avant de parler d’institutionnalisation, dans la confiance publique et la cohésion sociale. Ma métaphore des parcs publics met l’accent sur cet aspect : il y a une énorme différence entre les parcs publics et la délibération politique. Les gens viennent dans les parcs publics pour différentes raisons, comme promener leur chien, se promener avec leur partenaire, faire de l’exercice. En revanche, la délibération politique présuppose que les gens veulent parler de politique, ce qui est vrai pour un petit nombre de personnes, mais pas pour beaucoup d’autres qui ne s’intéressent pas autant à la politique. La démocratie délibérative doit être attentive au danger d’être capturée par cette minorité de personnes vraiment désireuses de parler de politique. »

Dans un passage du livre, vous avez souligné l’importance des initiatives de la société civile visant à rassembler les gens et à les encourager à sortir de leurs groupes ou tribus.

Pensez-vous que ce type d’initiative devrait uniquement viser à sensibiliser les citoyens ou que les citoyens, qui sont plus conscients grâce à ces formats, devraient également avoir davantage leur mot à dire dans les décisions qui les concernent ?

« Les citoyens devraient avoir leur mot à dire dans les décisions qui les concernent, chaque fois que cela est possible. C’est le cœur même des valeurs démocratiques. Mais lorsque je parle du rôle de la société civile et de l’importance de créer des ponts entre les communautés, je parle principalement de se connecter avec les autres de manière générale, que ce soit par le biais de clubs de football, d’églises, de journées entre voisins, car ce sont des espaces où les gens se font des amis et construisent des réseaux sociaux. La condition préalable à une forme de solidarité politique est, avant tout, la confiance mutuelle. Souvent, les gens ne s’intéressent pas autant à la politique qu’à d’autres choses. Bien sûr, je pense que lorsque cela existe et que cela prospère, cela peut être combiné avec des formes plus explicites d’engagement politique. Je ne suis pas sûr que vous souhaitiez réunir des personnes de croyances et de milieux très différents et leur dire : « asseyez-vous ensemble et parlez de politique », cela conduirait rapidement à des conflits, des reproches mutuels, et ainsi de suite. Mais si vous les amenez à coopérer autour d’un objectif commun, ce travail commun fournira la base pour partager leurs préoccupations, leurs peurs, leurs espoirs, et construire une forme de solidarité politique. En d’autres termes, la coopération précède la délibération politique. »

Selon vous, à quoi devrait ressembler un format de démocratie délibérative et participative pour être efficace dans des démocraties diverses ?

« Le principal problème de presque tous les formats de démocratie délibérative est qu’ils n’ont pas d’autorité formelle, et donc ils finissent par être purement consultatifs. Lorsque leurs résultats sont en quelque sorte alignés sur les pouvoirs de décision hiérarchiques et légaux, ils sont écoutés, mais lorsqu’ils vont à l’encontre de ces pouvoirs, ils peuvent être ignorés, ce qui crée bien sûr des frustrations et montre à quel point ces formats peuvent être une illusion d’efficacité. Afin de donner plus d’autorité formelle à ce type de mécanisme, il faudrait s’assurer au moins qu’ils représentent l’ensemble de la population. C’est quelque chose qui s’est produit, par exemple, avec l’assemblée citoyenne sur le référendum sur l’avortement en Irlande en 2018.

Je réfléchis toujours au problème politique fondamental des États-Unis, qui est l’un des problèmes politiques fondamentaux du monde démocratique, à savoir le système des primaires américaines. Une énorme majorité d’Américains n’aime pas Donald Trump, mais environ 15 % l’apprécient vraiment, et cela suffit pour qu’il exerce un contrôle très ferme sur le Parti républicain. Il y a donc quelque chose de vraiment dangereux dans les mécanismes de participation démocratique dans lesquels 10 à 15 % de la population peuvent l’emporter sur le reste. Les primaires ne reflètent pas nécessairement mieux les opinions réelles du public que ce que les mécanismes traditionnels peuvent faire, comme les délégués des partis politiques européens qui impliquent en réalité 0,1 % de la population. Pourtant, depuis leur institutionnalisation dans les années 1960, elles sont perçues comme assez représentatives parce que pratiquement tout le monde peut s’inscrire pour voter.

J’aimerais avoir des systèmes de démocratie participative et délibérative dans lesquels 50, 60, voire 70 % de la population participe. Je suis suffisamment démocrate pour croire que la plupart des gens sont dignes de confiance et raisonnables, et que s’ils sont placés dans de bonnes conditions de dialogue et d’échange, ils peuvent en réalité aboutir à de très bons résultats et décisions. Cependant, je suis très sceptique à l’égard des mécanismes de démocratie participative qui se félicitent de la participation de 10, 5, voire 3 % de la population, car ceux-ci ne représentent pas l’opinion publique dans son ensemble. Ils reflètent souvent les souhaits de divers types de militants ou d’extrémistes idéologiques qui utilisent ces formats pour prétendre que leur vision est partagée par la grande majorité de la population. »

Une dernière question concerne la technologie. Vous n’abordez pas ce sujet dans votre livre, mais la présence de la technologie est si profondément ancrée dans notre vie quotidienne qu’elle façonne inévitablement notre expérience de l’espace civique.

Quel rôle la technologie doit-elle jouer dans une transition vers un nouveau paradigme démocratique où plus de personnes sont impliquées ? Aujourd’hui, nous avons les moyens d’écouter davantage les gens, de recueillir leurs commentaires et d’agir en conséquence dans une certaine mesure. La technologie ne doit pas seulement être une économie de données qui s’approprie les données des gens et favorise la polarisation, elle peut être un moyen puissant de responsabiliser réellement les individus. Pensez-vous qu’il devrait y avoir un effort plus important de la part des institutions pour faciliter les échanges d’informations et d’opinions numériques afin de construire une société plus constructive ?

« Bien sûr, la technologie joue un rôle majeur. Je pense que ce rôle s’étale sur trois niveaux d’action.

  • Digitalisation des services publics → Les États font certainement de grands efforts en matière de numérisation, et ils continueront à le faire. Cela inclut les services aux citoyens, en étant plus réceptifs aux besoins des citoyens.
  • Internet en tant que forum public pour débattre des idées → Cela existe déjà de manière très puissante, mais cela se présente souvent sous une forme profondément dysfonctionnelle (Tiktok, contrôlé par un pays non démocratique, Twitter, dont l’algorithme encourage les formes conflictuelles d’échange et transforme les discussions sur des questions publiques importantes en une sorte de conflit de gladiateurs entre des adversaires qui s’insultent). Je ne pense pas que l’État puisse ou doive remplacer ces forums. Imaginez que la France lance un concurrent de Facebook : même si c’était possible et que la plupart des gens s’y inscriraient, il n’est pas clair pour moi que ce soit une très bonne idée de laisser un gouvernement avoir autant de pouvoir et de contrôle sur l’environnement virtuel où nous échangeons des idées. Dans ce domaine, il est nécessaire d’apporter un certain nombre de changements, introduits par ces entreprises privées et peut-être soutenus par des formes de réglementation, mais réellement demandés par les utilisateurs. Je pense que ce n’est que lorsque les gens commenceront à se déconnecter en masse des plateformes de médias sociaux conflictuelles que les choses vont changer. J’espère voir ce que Elon Musk a promis mais n’a pas encore réalisé, à savoir maximiser les minutes d’utilisation non regrettées sur les plateformes, c’est-à-dire le jour où gens ne regretteront pas d’avoir passé des heures à faire défiler leur fil d’actualités seulement pour s’énerver contre des inconnus.
  • Technologies pour les délibérations publiques → Il existe en effet une question de savoir quels outils choisir pour soutenir les processus délibératifs et participatifs qui ont réellement l’autorité de consulter et de décider, par exemple dans le cas du budget participatif ou du plan de développement local. Mais à mon avis, cela reste un élément secondaire par rapport aux questions plus générales sur la façon dont les dynamiques du discours public sont déterminées par la forme des plateformes de médias sociaux.

Nous continuons de croire que la démocratie participative et délibérative peut jouer un rôle important dans la transformation de notre société en un espace plus serein, plus émancipateur et plus inclusif pour tous les citoyens. Cependant, le professeur Mounk était très convaincant en transmettant l’idée que la construction de nouvelles formes de cohésion sociale et de confiance mutuelle, non nécessairement au sein du débat politique, mais dans un sens plus large qui englobe la vie quotidienne des gens, est un objectif prioritaire pour faire prospérer nos démocraties à l’ère de la diversité culturelle et de l’hyperconnexion technologique. »


Yascha Mounk a grandi en Allemagne et est maintenant un citoyen américain naturalisé. Il est titulaire d’un doctorat en théorie politique de l’université de Harvard et enseigne en tant que professeur associé à l’université Johns Hopkins. Son livre « Le peuple contre la démocratie », publié en 2018, l’a rendu célèbre dans le monde entier. Son dernier livre, abordé dans cette interview, « La grande expérience », a été publié en 2022. Nous recommandons vivement ce livre pour son analyse efficace et ses recommandations politiques claires mais très perspicaces. Nous tenons à remercier le professeur Mounk pour le temps qu’il nous a accordé.


Un article écrit par Giulia Cibrario (consultante) et Simonas Zilinskas (chef de produit).