Lorsque l’on parle de démocratie participative, l’une des images qui revient le plus en tête est celle des budgets participatifs. Le dispositif est simple : une commune met à disposition un budget, qui sera départagé entre différents projets proposés par les citoyens. Mais sous cette simplicité apparente se cache de nombreuses déclinaisons…
Proposer des projets sur toutes les compétences de la Ville
Les budgets participatifs de la Ville d’Angers
Depuis 2018, Angers renouvelle son budget participatif grâce à sa plateforme Decidim. Elle permet aux Angevines et aux Angevins de déposer des propositions de projets couvert par un spectre très large de compétences de la Ville : aménagement du territoire, sport, culture, environnement… Autant de domaines sur lesquels les citoyens sont invités à proposer des projets.
Capture d’écran de la plateforme Decidim d’Angers
À l’issue de la phase de vote de son premier BP, deux projets d’aménagement urbain ont été sélectionnés et réalisés. Depuis, la Ville compte au moins neuf projets lauréats par an sur des thématiques variées. Cela nous amène aujourd’hui à un total de 47 projets réalisés.
Les propositions déposées par les citoyens dans le cadre de la dernière édition du budget participatif de la Ville sont désormais en phase d’analyse, qui prendra fin au mois de septembre 2022.
Pour garantir la transparence de la démarche participative, Decidim permet aux collectivités d’expliquer les enjeux de chaque étape aux participants. Elle permet donc aux citoyens d’être informés de la temporalité et de suivre le processus.
Les différentes étapes du BP de la Ville d’Angers 2022
Un budget participatif exclusivement pour les jeunes
En 2019, le département de l’Indre-et-Loire a décidé de lancer deux budgets participatifs en simultané : un premier pour l’ensemble des citoyens du département et un deuxième destiné aux jeunes âgés de moins de 18 ans. Pour ce dernier, une enveloppe annuelle de 300 000 euros a été dédiée au financement des projets “jeunesse”. En arrivant sur la page d’accueil de la plateforme participative du département, les utilisateurs concernés sont invités à se rendre sur un espace dédié pour participer.
Dans le cadre de ce projet, des ateliers pédagogiques ont été animés dans plusieurs écoles élémentaires et collèges du département. Les professeurs ont accompagné leurs élèves dans la formulation de leurs idées et pour les déposer sur la plateforme.
Les projets lauréats ont été soumis au vote de tous les jeunes habitants. Ceux-ci visent essentiellement l’amélioration de leur quotidien au sein des établissements scolaires. Les jeunes citoyens ont proposé différents aménagements comme l’installation d’espaces verts, ou encore des terrains sportifs. Des projets culturels ont également été présentés tel que la création d’un studio pour faire de la web radio. Certains ont aussi demandé l’aménagement de ruches réalisées par des lycéens spécialisés dans le design.
Capture d’écran de la plateforme Decidim du département Indre-et-Loire
Un budget participatif pour lutter contre le changement climatique
Pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique, la métropole de Bordeaux a lancé en janvier dernier un budget participatif en lien avec le programme « Plantons 1 million d’arbres ». Il s’agit d’une opération de végétalisation de grande ampleur, avec pour objectif la plantation d’un million d’arbres sur le territoire de la métropole au cours de la décennie à venir. Ce budget participatif vise aussi à mobiliser les citoyens sur les enjeux environnementaux actuels. Pour ce faire, la Métropole de Bordeaux a mis à disposition sept parcelles lui appartenant. Ce projet inédit en France consiste à renforcer la biodiversité en créant des “îlots de fraîcheur”. Ces différents espaces de plantation ont été imaginés par plusieurs associations candidates qui pourront débuter les boisements et les aménagements cet hiver grâce à une aide financière et technique allouée par la Métropole. Les citoyens ont donc pu réagir et voter pour les propositions qu’ils préféraient – parmi les micro-forêts, vergers, parcs et jardins partagés – directement sur la plateforme.
Capture d’écran de la plateforme Decidim de la Métropole de Bordeaux
Un budget participatif par quartier
La Ville d’Antibes-Juan-les-Pins organise elle aussi des budgets participatifs un peu particuliers : par conseil de quartier.
Les conseils de quartier de la ville d’Antibes-Juan-les-Pins
Chaque année, les habitants rattachés à un conseil de quartier suggèrent plusieurs projets à l’échelle du quartier dans des domaines de compétences précis : l’environnement, le cadre de vie, la propreté, l’amélioration des infrastructures routières, la sécurité, l’animation du quartier, la solidarité et le lien inter-générationnel. Ici, nous n’avons pas de budget fixé à l’avance, mais la municipalité intègre la plupart des projets proposés dans ses politiques publiques existantes ou financent les projets proposés.
Ce dispositif numérique est bien sûr couplé avec de nombreuses réunions présentielles organisées dans les différents quartiers. Il permet d’aller chercher plus d’habitants du quartier qu’un dispositif simplement présentiel et se fonde sur une approche qui a fait ses preuves : le dialogue de proximité. D’où le nom des budgets participatifs antibois : “les campagnes de proximité”.
Un budget participatif voté au jugement majoritaire
En 2020, la ville de Paris a pour la première fois organisé le vote de son budget participatif au jugement majoritaire. Les projets ont été votés par les Parisiens grâce à l’attribution d’une appréciation. Pour se prononcer sur une proposition, les habitants pouvaient sélectionner une option parmi les suivantes : “Coup de coeur, j’adore”, “J’aime bien, c’est intéressant”, “Pourquoi pas, et “Je ne suis pas convaincu.e”.
Les projets concernant la Ville de Paris et ceux concernant les arrondissements ont été dissociés et les citoyens étaient invités à voter pour au moins quatre projets dans chacune des catégories. Cette méthode de vote permet de nuancer les choix des participants et de rejeter plus facilement les propositions qui ne font pas partie des préférences collectives. Un des avantages du jugement majoritaire est aussi de pouvoir exprimer pleinement un avis sur chaque projet déposé et rend les choix plus démocratiques.
Capture d’écran de la plateforme du Budget participatif de la Ville de Paris
On le voit, il y a autant de formules de budgets participatifs (“BP”, pour les intimes) que de collectivités, chacune apportant une nuance et des modalités plus ou moins différentes. Il faut également retenir que la mise en œuvre d’un budget participatif est possible à toutes les échelles : département, métropole, ville, arrondissement, quartier… Cette démarche s’est aujourd’hui largement démocratisée en France et continue d’être renouvelée par de nombreuses collectivités.
De quoi sera fait demain pour les budgets participatifs ? Côté collectivités, on constate la volonté d’associer plus tôt les porteurs de projets et leur administration par exemple ; ce modèle va très probablement se développer dans l’avenir. D’autres types d’organisations que les collectivités, aujourd’hui, mettent en oeuvre ou comptent mettre en oeuvre leur propre budget participatif.
Comment assurer le déploiement de plateformes de participation citoyenne à toutes les échelles, y compris pour les plus petites communes ? De plus en plus d’acteurs – collectivités, établissements publics, entreprises publiques locales – se tournent vers la mutualisation technique des plateformes.
Mais la mutualisation, késaco ? Rien de plus simple : une organisation mère donne la possibilité de déployer à moindre coût des plateformes participatives. Par exemple pour la démocratie participative, pour les acteurs qui la composent et qui autrement, n’auraient pu s’équiper pour faire vivre la démocratie locale grâce à un outil numérique.
La généralisation des plateformes numériques de démocratie participative
Le contexte de défiance envers les institutions publiques et les élus, marqué par la montée de l’abstentionnisme, a favorisé l’émergence, en France, des civic tech, un écosystème d’outils qui visent à renforcer l’engagement et la participation citoyenne.
Les élections municipales de 2020 ont entraîné une évolution importante en matière de participation citoyenne. Selon le Baromètre 2021 de la démocratie locale numérique, 78% des collectivités font le choix d’adopter des plateformes numériques de participation pour favoriser l’inclusion des citoyens au sein des processus décisionnels.
Changements majeurs prévus en matière de démocratie numérique, suite aux élections municipales de 2020. Baromètre 2021 de la démocratie locale numérique, Banque des Territoires
Cet engagement des collectivités pour la démocratie participative, consistant à repenser les processus de décision, émerge et se construit à différentes échelles. Petites et moyennes collectivités comme métropoles partagent la volonté de remettre leurs habitants au centre de la vie publique.
Quels sont les 3 principaux avantages de la mutualisation ?
Les collectivités ayant des ambitions similaires pour l’adoption de nouveaux outils numériques de participation citoyenne ont une solution. Laquelle ? La mutualisation ! L’investissement dans une plateforme mutualisée se traduit par des avantages sur les plans financier, humain mais aussi technique.
1. Le partage des coûts
Son premier avantage est de permettre une mise en commun de cette technologie en partageant l’investissement. Elle permet de réduire les coûts engendrés par l’acquisition d’un service numérique. Elle favorise aussi le partage de connaissances entre les agents des différentes collectivités.La mutualisation suscite également des économies d’échelles. Elle rend possible, pour des collectivités aux moyens financiers et humains limités, l’accès à des outils aussi performants et complets que ceux utilisés par des métropoles comptant plusieurs millions d’habitants.
2. Le partage d’expériences et de connaissances
La mutualisation garantit un apprentissage autant pour les élus, les agents des collectivités – cf. notre article sur les élus et les fonctionnaires participatifs – que pour les citoyens. Concernant les agents, une plateforme mutualisée facilite leur collaboration et permet aussi le partage de bonnes pratiques à l’échelle d’un territoire. Il est aussi possible d’envisager de mutualiser des formations à l’administration de l’outil afin qu’elles profitent au plus grand nombre. En se dotant d’une plateforme basée sur le logiciel Decidim, comme à Angers par exemple, les habitants d’une métropole la découvrent, s’habituent à son ergonomie et son interface. Lorsque la ville est prête à lancer une démarche de participation citoyenne, les utilisateurs sont déjà familiarisés avec la plateforme et peuvent s’engager plus facilement dans le processus participatif.
3. L’indépendance numérique des collectivités et des établissements publics
La mutualisation d’outils numériques open source tel que Decidim présente des avantages techniques. Elle garantit une forme d’indépendance numérique des collectivités. Les acteurs centraux que sont les métropoles ou les communautés d’agglomérations ont la possibilité de rompre leur dépendance aux acteurs privés. Comment ? En s’appropriant le logiciel installé sur leurs propres serveurs et en accélérant leur montée en compétences sur l’administration et la maintenance de celui-ci. C’est par exemple le cas de la métropole de Bordeaux, qui prévoit d’installer Decidim sur ses serveurs plutôt que sur une installation distante.
Comment garantir l’accès à une solution numérique à toutes les collectivités grâce à la mutualisation ?
Le logiciel libre et open source Decidim répond à la convergence des ambitions politiques de collectivités très différentes ; par leurs tailles, leurs moyens techniques et/ou leurs budgets.
La mutualisation d’ un outil numérique apparaît comme une solution lorsqu’on observe des similitudes fortes entre les démarches, peu importe les territoires. Petite commune ou métropole, communauté d’agglomération ou conseil de quartier : tous ces échelons peuvent être amenés à lancer des démarches de participation en ligne. Il faut mentionner le budget participatif, dispositif privilégié par de nombreuses collectivités pour donner plus de pouvoir d’agir aux citoyens. Par exemple, la Ville de Nancy organise depuis 2018 son budget participatif. Sur le même modèle, sur la plateforme métropolitaine, la commune d’Essey-lès-Nancy a mis en place son premier budget participatif. Grâce à ce dispositif, la ville souhaite à une aspiration forte des citoyens à être associés aux décisions publiques.
Plusieurs options d’installations techniques s’offrent aux collectivités souhaitant investir dans un outil mutualisé.
Une seule plateforme, plusieurs espaces communaux
Grâce à la modularité de Decidim, plusieurs organisations ou services peuvent gérer leurs propres espaces sur une même plateforme. Il est en effet possible de paramétrer plusieurs niveaux d’administration. Par exemple, la Métropole du Grand Nancy dispose sur sa plateforme d’espaces dédiés à plusieurs communes comme Pulnoy, Essey-lès-Nancy et Malzéville. Chaque commune peut ensuite gérer et administrer ses démarches participatives en autonomie.
Un serveur, plusieurs plateformes
Le modèle multi-tenant de Decidim – que l’on pourrait traduire en français par le terme “multi-locataire” – rend possible le lancement de plusieurs plateformes depuis une même installation technique.
Cela signifie que Decidim peut être utilisé par autant d’autorités locales que l’on souhaite, à partir d’une seule installation. De cette manière, les coûts d’installation et de maintenance sont réduits. Cela permet de fournir des solutions technologiques qui favorisent la participation citoyenne à des collectivités de taille réduite ou moyenne. Ce modèle multi-tenant est pertinent pour les métropoles, comme celles de Bordeaux, de Nancy ou de Toulouse, qui souhaitent partager l’utilisation de Decidim et son installation avec plusieurs communes qui les composent. Cette option est aussi utile aux organisations structurées autour de plusieurs organes et souhaitant disposer de plateformes autonomes pour chacune d’elles. Il est possible d’envisager des approches de mutualisation pour les syndicats intercommunaux ou les Entreprises Publiques Locales.
Une plateforme self-hosted
Decidim peut être hébergé sur les serveurs des organisations ou des collectivités qui font le choix d’une plateforme self-hosted. Selon les moyens techniques dont elles disposent, les collectivités peuvent installer Decidim elles-mêmes. Le code est open source et accessible gratuitement sur Github. La métropole de Bordeaux, notamment, s’est tournée vers cette option. De cette manière la métropole bordelaise peut apporter des modifications à la plateforme en fonction des besoins de ses communes.
Decidim, un bien commun numérique mutualisé
Plus largement, la mutualisation bénéficie au développement du logiciel Decidim. Étant un bien commun numérique, l’évolution de Decidim et son développement sont décentralisés.
Les développements réalisés par les différents acteurs contributeurs du logiciel, dans le cadre de leur projet, peuvent être également exploités par d’autres librement. Decidim rassemble autour de lui une large communauté de développeurs, à travers le monde, ainsi que des centaines d’institutions. Les collectivités ont tout intérêt à participer au développement du logiciel puisque les évolutions apportées par les acteurs publics correspondront davantage à leurs attentes et à leurs usages. Cette démarche est notamment en accord avec la campagne “Public Money ? Public Code !”, lancée par la Free Software Foundation Europe. Elle vise à faire du logiciel libre le standard pour les logiciels financés par l’argent public. Les acteurs et administrations publiques qui font le choix de suivre cet engagement ont l’opportunité de se rendre indépendants des acteurs privés. Ils bénéficient de collaborations, et de construire des bases saines pour la sécurité de leur système d’information.
Le 21 mars 2022, nous avons participé à la Conférence sur l’engagement citoyen dans les Missions européennes organisée par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne. Au titre de son rôle dans la Conférence sur l’avenir de l’Europe, Open Source Politics a été sélectionné en tant que porteur d’idées pour participer au Forum de la société civile et de la recherche, aux côtés de 17 autres organisations.
Decidim et notre plateforme pour la conférence sur l’avenir de l’Europe
Cet événement avait un double intérêt pour nous. D’une part, cet événement organisé au Conseil Économique, Social et Environnemental, a permis à notre équipe de mettre en avant son expertise sur la mise en œuvre de démarches de participation citoyenne numériques. D’autre part, nous avons pu présenter Decidim comme une solution concrète au défi que les sociétés européennes relèvent dans le domaine de l’engagement citoyen.
En parallèle du Forum, Adrien Rogissart et Joel Berenguer-Moncada ont également animé une conférence pour présenter le travail réalisé sur la plateforme de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Plusieurs équipes d’Open Source Politics sont en effet impliquées. Nos équipes conseil, produit et modération assurent la coordination, la mise en œuvre ainsi que la modération de la plateforme située au cœur de cette démarche inédite.
Ce fut ainsi l’occasion de revenir sur les objectifs et les résultats de cette plateforme lancée au mois d’avril 2021 et qui a accueilli plus de 4 millions de visiteurs et plus de 50 000 participants à ce jour. Au 21 mars 2022, la plateforme comptait plus de 17 000 idées déposées par des citoyens des pays de toute l’Europe sur des thèmes variés.
Parmi les thématiques, celles ayant suscité le plus d’engagement et de discussions sont le changement climatique et l’environnement, la démocratie européenne, l’éducation et la culture, ou encore l’économie et la justice sociale.
En quoi cette plateforme est-elle inédite ?
La particularité de cette plateforme réside dans le fait d’avoir posé pour la première fois un cadre de discussion dépassant les champs nationaux grâce à l’instauration d’un dialogue direct entre les citoyens de toute l’Union européenne. Cet exercice démocratique accorde une place centrale aux citoyens européens de par son ouverture et son inclusivité. L’intégration, par nos équipes, des contenus dans les 24 langues officielles de l’Union européenne a par ailleurs grandement facilité les échanges entre les participants, et constitue un travail inédit. Le caractère multilingue de la plateforme a en effet permis à chacun de faire valoir ses idées, de commenter, ainsi que d’approuver les idées des autres.
Side-event sur les résultats de la plateforme de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe
Pourquoi les institutions européennes ont-elles choisi Decidim ?
Les administrations publiques ont conscience des enjeux majeurs que représentent les logiciels libres et l’ouverture des données. La stratégie de la Commission européenne pour le logiciel libre, rendue publique en novembre 2020 insiste sur l’ouverture comme moteur d’innovation, d’autonomie numérique et de respect des citoyens et des utilisateurs. En décembre 2020, le Conseil européen appelait par ailleurs, dans sa Déclaration de Berlin à « promouvoir le développement, le partage et la réutilisation des normes, solutions et spécifications open source par-delà les frontières ».
Le choix des institutions de l’Union européenne d’adopter Decidim pour la mise en œuvre de la plateforme pour la Conférence sur l’Avenir de l’Europe s’inscrit donc dans cet engagement en faveur du logiciel libre. Un choix qui paraît d’autant plus naturel que Decidim partage dans sa conception les principes démocratiques de la Conférence. La décision d’adopter un logiciel libre s’inscrit également dans une logique globale de souveraineté numérique puisqu’il constitue “un moyen de reconquête d’indépendance économique vis-à-vis d’acteurs extra-communautaires et de préservation d’emplois qualifiés au sein de l’Union”.
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