Démocratie participative, vers des maires concerteurs et fonctionnaires participatifs

Démocratie participative, vers des maires concerteurs et fonctionnaires participatifs

L’un des principaux objectifs des dispositifs de démocratie participative est sans nul doute d’élargir le public d’individus intégrés à la participation institutionnelle. Les acteurs de la participation sont en effet nombreux à ne pas vouloir cantonner ces dispositifs aux publics habitués à y être intégrés. C’est le syndrome TLM (toujours les mêmes), bien connu et tout aussi bien documenté désormais. C’est donc bel et bien une volonté de transformation – des citoyens, des élus et des agents – qui préside à l’approfondissement de la démocratie participative dans les institutions.

Des citoyens qui enrichissent les débats 

Les spécificités des dispositifs participatifs numériques induisent des changements particuliers pour les citoyens. Nous avons déjà évoqué la redéfinition du rôle des citoyens par les dispositifs participatifs, particulièrement numériques. Facilité accrue de participation, introduction de plusieurs degrés d’engagement (soutiens ➡️commentaires ➡️  propositions), ouverture sociale : le numérique modifie la participation des citoyens à la vie de la Cité.  

Democratie participative decidim

Surtout, la mise en place de plateformes leur permet de sortir d’une participation politique épisodique, scandée par le calendrier électoral, pour entrer dans une approche continue de participation. Ils peuvent donner leur avis plus souvent, sur plus de sujets et de thèmes, et discuter directement avec leurs concitoyens. 

La question des mobilités est (évidemment !) une des têtes d’affiche de la période 2021-2022, illustrée par exemple par la concertation de la métropole du Grand Nancy sur le Plan Métropolitain des Mobilités (P2M). Le débat de départ, manichéen – “voiture versus vélo” – se développe et se transforme, au fil des commentaires, pour apporter des nuances et de la complexité à un sujet qui en a bien besoin, saturé d’idées reçues et de croyances à déconstruire. 

Democratie participative Grand Nancy

Des élus à l’écoute : les maires “concerteurs”     

Le rôle des élus se transforme au fur et à mesure que se développent les dispositifs de démocratie participative. 

Le ou la maire d’une collectivité, traditionnellement chargé.e d’assurer le lien entre l’État et la commune ou de concilier si besoin les différentes parties prenantes de sa ville, alliant notabilité et bonhomie, est derrière nous. A partir des années 80-90, on assiste au développement d’une approche entrepreneuriale : c’est par exemple le « maire bâtisseur », gestionnaire rigoureux, soucieux du développement économique et d’aménagement du territoire.

La participation citoyenne, aujourd’hui, pousse les élus à repenser leur rôle, dans le cadre d’interfaces numériques participatives mises en place à destination des citoyens. On attendait d’un élu qu’il s’exprime et décide. Dans un cadre participatif, on attend qu’il écoute et co-construise – expression parfois galvaudée mais qui conserve toute sa pertinence – avec les citoyens, et plus largement avec les participants aux démarches participatives que sa collectivité organise. Du « maire bâtisseur », on passe au “maire concerteur”.  

Le ou la maire “concerteur” est en effet soucieux d’améliorer la qualité des décisions qu’il ou elle prend : il choisit donc de prendre plus de temps, d’inclure plus de personnes et d’acteurs dans la réflexion qui précède la décision. Il favorise les espaces-temps d’écoute, mais veille également à ce que les citoyens qu’il sollicite puissent avoir les moyens d’une participation de qualité, c’est-à-dire consciente des enjeux et des contraintes. 

Les contraintes qui pèsent sur les élus ou sur l’action publique doivent par conséquent être présentées explicitement, répétées parfois. Le rôle d’un élu en milieu participatif repose sur sa capacité à expliquer les limites de l’action publique, en gardant le souffle et l’imagination charriés par les dispositifs participatifs dans le cadre des politiques mises en œuvre. 

Cette nouvelle posture nécessite donc des moyens : financiers, techniques, et bien sûr humains. 

Des administrations à mobiliser : les fonctionnaires participatifs 

Le fonctionnement des administrations territoriales est également transformé par les dispositifs de démocratie participative. Le rôle des administrateurs de la fonction publique territoriale change dans le même mouvement. 

Il est fréquent que les démarches participatives se télescopent avec le travail quotidien des services publics communaux. C’est une évidence, certaines d’entre elles apportent leur surcroît de travail. Par exemple, un Budget Participatif permet aux citoyens de formuler de nombreuses propositions, qu’il faut toutes, sans exception ou presque, examiner et auxquelles il faut apporter une réponse argumentée. 

Mais ces démarches participatives introduisent de nouvelles voix – en l’occurrence, celles des citoyens – dans un fonctionnement jusqu’à présent étanche, au mieux entrouvert, aux interventions du corps civique en dehors des changements de majorité entraînés par les résultats électoraux. C’est un défi pour les administrations, qui doivent redéfinir leur rôle, faisant écho au nouveau genre d’élu que constituent les “maires concerteurs”. 

Les administrateurs sont dans l’obligation de repenser certaines procédures et fonctionnements de l’administration, au premier chef les responsables de la démocratie locale, véritables chevilles ouvrières des dispositifs participatifs. Mais pas uniquement. Tous les services concernés par les projets qui émergent des démarches participatives doivent être intégrés à la préparation et à l’organisation des démarches et monter en compétences pour éviter les faux pas. Il faut les consulter à différentes étapes d’un processus participatif et pour tous les processus, afin de capitaliser au long terme en familiarisant les services et agents concernés. 

Les administrations se réinventent au fil des démarches en formant à la dimension participative les fonctionnaires qui les composent, pour produire un nouveau type de fonctionnaire : le “fonctionnaire participatif”. 

Sortie de l’Alsace du Grand Est : une consultation très politique

Sortie de l’Alsace du Grand Est : une consultation très politique

L’Alsace doit-elle redevenir une région à part entière ? Le débat remonte à la création de la région Grand Est en 2016. Une première consultation citoyenne – sans support numérique – avait déjà soumis au vote la question, sans pour autant modifier les rapports de force politiques. Nouvelle tentative de la Collectivité Européenne d’Alsace en 2022 avec une plateforme en ligne Decidim. Articulée aux dispositifs en présentiel, elle a permis de donner toute l’ampleur nécessaire à la démocratie locale et régionale. 

Consultation citoyenne sur l’avenir de l’Alsace : les faits et chiffres

L’Alsace doit-elle sortir de la région Grand Est pour redevenir une région à part entière ?”. Telle était la question exacte posée aux Alsaciens du 22 décembre 2021 au 15 février 2022. Ils pouvaient s’exprimer soit en ligne via la plateforme de démocratie participative de la Collectivité Européenne d’Alsace, soit par courrier ou encore dans l’une des urnes disséminées sur le territoire. 

La consultation a recueilli 153 844 votes après contrôles : 125 046 par voie électronique, 14 735 par courrier et 14 063 via les urnes. Avec 92% des suffrages exprimés, le “oui” l’a très largement emporté. 

Open Source Politics a ainsi accompagné la Collectivité Européenne d’Alsace dans le déploiement numérique de cette consultation citoyenne. Nous n’en étions pas à notre coup d’essai avec cette plateforme, ouverte depuis septembre 2021. Elle avait en effet déjà accueilli plusieurs démarches participatives à destination des citoyens alsaciens, organisant par exemple la possibilité de déposer sa candidature au Conseil de Développement de la Collectivité, nouvelle instance citoyenne encadrée par la loi, menant des réflexions sur l’évolution des politiques publiques. 

Une plateforme numérique au service d’une démocratie locale de la confiance 

Cette mission d’accompagnement, porteuse d’enjeux politiques forts, fut pour nous l’occasion de contribuer à un processus participatif mû par l’esprit de “démocratie numérique de la confiance”, vision que nous partageons. Ainsi, Frédéric Bierry, président de la Collectivité Européenne d’Alsace, rappelait son projet en décembre 2021, dans un article du Figaro : “lors des régionales en Alsace, on est passé de 60 % de votants en 2015 à 30 % en 2021. Il faut redonner du souffle à la démocratie avec de nouveaux outils”. Mais, la volonté politique ne suffit pas, il s’agit aussi d’une question de méthode.

La Collectivité Européenne d’Alsace est allée au bout de ce raisonnement en le traduisant par des choix techniques sur la plateforme : n’importe quel visiteur pouvait participer à la consultation citoyenne, sans obligation de s’inscrire. La consultation était à destination des personnes, de manière très large, “déclarant […] avoir leur attache” en Alsace. Le questionnaire mis en place récoltait néanmoins plusieurs informations pour garantir un contrôle des votes a posteriori : le nom, le prénom, la date de naissance, l’adresse email, le code postal.

Ce dispositif témoigne donc d’une posture rare, celle d’une confiance accordée aux citoyens. La collectivité a voulu favoriser au maximum la participation et l’accessibilité de la démarche et ne conserver qu’un minimum de barrières pour permettre au plus grand nombre de donner son avis. 

Ce choix représentait un challenge pour notre équipe qui rassemblait des compétences de conseil et des compétences d’analyse de données. Nous avons dû concevoir de nouvelles méthodes d’investigations pour permettre le contrôle a posteriori des votes : il a permis d’éliminer tout doublon ou fraude, en assistant l’étude d’huissier de justice retenu pour le décompte final. Le pari a été tenu puisque seuls 13 000 votes ont été exclus sur la base d’un traitement et d’une analyse des données très fine, permettant d’atteindre le chiffre de 125 046 bulletins électroniques. Avec un total de 153 844 votes comptabilisés, la part du vote numérique représente ainsi plus de 80% des suffrages exprimés.

Decidim, un projet technopolitique

Ce genre de consultation à enjeu politique pose à nouveau la question de la technopolitique, à l’origine du projet Decidim. En effet, la participation citoyenne en ligne implique que les choix techniques revêtent également une nature politique. La vision que promeut la démocratie de la confiance fonctionne dans les deux sens : à la confiance accordée aux citoyens pour leur participation répond la confiance qu’ils accordent à l’institution qui leur propose un dispositif de démocratie numérique. 

A ce titre, l’emploi d’un logiciel libre comme Decidim constitue un choix technopolitique. L’ouverture et l’accessibilité de son code permettent de rendre visibles et compréhensibles les choix politiques (sur le plan des principes démocratiques et des procédures) et de ne pas fragiliser la sincérité du dispositif pour ne pas entamer la confiance des participants. 

En savoir plus : Proclamation des résultats