De la politique de la vie quotidienne au Mouvement des Indignés

Cette semaine sur le blog, une fois n’est pas coutume, nous allons vous parler d’un livre. Quelques éléments de contexte, remontons dans le temps, en 2011 plus précisément. À la faveur du printemps, des manifestations rassemblant des centaines de milliers de personnes fleurissent partout en Espagne. Le Mouvement des indignés prend vie en réponse à la crise économique que traverse le pays. Bien que les personnes qui manifestent alors forment un groupe hétérogène, elles ont en commun de ressentir un désaveu des citoyen·ne·s envers la classe politique, la volonté d’en finir avec un bipartisme politique sclérosé, et avec la corruption.

D’un ras-le-bol local à un mouvement global

Avance rapide : 2015. Suite au mouvement des Indignés, des dizaines de groupes municipalistes* se sont présentés aux élections municipales et ont obtenu des résultats inattendus. Ils ont remporté les conseils municipaux de grandes villes comme Barcelone, Madrid ou Saragosse, en plus de gagner des sièges dans les conseils municipaux d’opposition. Le municipalisme est maintenant au centre de la vie politique espagnole. Suite à cette transformation du paysage démocratique espagnol que Laura Roth, Arnau Monterde (coordinateur du projet Decidim à la mairie de Barcelone), et Antonio Calleja-López s’associent pour travailler sur le texte Ciudades democraticas, Del 15M al municipalismo del cambio (Villes démocratiques, La révolte municipaliste du cycle post-15M) qui analyse ce changement de paradigme.

*Par municipalisme, il faut entendre la théorie et la pratique qui fait de la municipalité le cœur d’une transformation démocratique de la vie sociale, économique et politique. Cette perspective ne prend pas comme point de départ l’État ou la souveraineté nationale, mais la souveraineté populaire basée sur l’autogouvernement des communautés locales.

— Jonathan Durand Folco, « Les villes contre la Constitution canadienne ? », dans Argument, vol. 19, n° 2, printemps-été 2017, pp. 36-38)

De l’Espagne à la France

Chez Open Source Politics, la découverte de ce texte se fait lors de sa première édition en mai 2019. Sa lecture nous a captivé·e·s car Ciudades Democráticas permet à la fois de comprendre :

  • les conditions d’émergence de la coalition victorieuse en 2015 dans plusieurs grandes villes d’Espagne
  • la colonne vertébrale idéologique des activistes qui la composent et qui avaient des responsabilités dans l’organisation Barcelona en Comù (Barcelone en commun) ou dans l’administration municipale.

À cette époque, le livre n’était disponible qu’en espagnol et il nous paraissait important de permettre la lecture de ce texte à un public francophone. Surtout au vu du contexte des élections municipales de 2020 en France où plusieurs « listes citoyennes » composées d’individus non-engagés préalablement dans des partis politiques se préparaient.

Bien évidemment, à l’heure où vous lisez cet article, nous sommes en 2022, de l’eau a coulé sous les ponts et nous n’avons pas réussi à sortir la traduction avant les élections municipales 🙃. Toujours est-il que vous pouvez désormais lire en français Villes démocratiques, La révolte municipaliste du cycle post-15M et qui sait, cela pourra peut-être inspirer de futures démarches en France ou ailleurs dans le monde francophone 😉.

Une plongée au coeur du municipalisme espagnol

Ce livre se veut être une contribution au débat sur ce qu’est le municipalisme, d’où il vient et où il va. À travers les voix de ses auteurs et autrices se dessine la carte du mouvement des Indignés, et certains débats sur les problèmes et les promesses du phénomène sont détaillés. Dans tous les cas, il s’agit de personnes qui sont impliquées d’une manière ou d’une autre dans le mouvement, que ce soit dans les institutions, dans les plateformes municipalistes ou dans les mouvements sociaux et organisations connexes. Cela reflète en fait l’une des caractéristiques les plus intéressantes du municipalisme actuel : il s’agit d’un processus d’apprentissage conjoint où les mouvements, les plateformes politiques et les institutions publiques testent et examinent de nouvelles façons de faire de la politique.

Du processus historique aux agendas des gouvernements municipalistes et du mouvement lui-même

Le texte est divisé en trois grandes parties. La première partie contextualise les discussions sur le municipalisme et la démocratie, retrace le processus historique du Mouvement des Indignés ou 15M aux élections de mai 2015 et décrit un instantané du municipalisme actuel espagnol. La deuxième partie présente quelques-unes des grandes lignes de l’agenda des gouvernements municipalistes, telles que les politiques publiques liées au droit à la ville, au féminisme, aux biens communs et à la technopolitique. A titre d’exemple, Antonio Calleja-López et Javier Toret y expliquent comment le projet Decidim, promu par la Mairie de Barcelone, fonctionne comme un modèle de développement collaboratif public-commun d’infrastructures numériques pour la démocratie participative. Ils passent en revue certaines des politiques publiques qui ont été mises en œuvre au cours du premier cycle de gouvernement des plateformes municipalistes et discutent des opportunités et des limites. Dans la troisième et dernière partie, la discussion porte sur l’agenda du mouvement lui-même, au-delà des politiques publiques. Cette partie commence par l’analyse et la discussion de l’idée de démocratie dans les organisations, puis se concentre sur la féminisation de la politique et se termine par la discussion du projet de mise en réseau des plateformes municipalistes.

Un décryptage pour comprendre et apprendre des expériences de nos voisins

Les thématiques et les approches des chapitres de ce livre sont aussi variées que le projet municipaliste lui-même. Il est évident qu’elles n’épuisent pas toutes les dimensions et les discussions associées à ce cycle politique initié en 2015, mais il est possible, à partir d’elles, d’acquérir une vision globale de la nouveauté du phénomène, de ses fondements, de ses projets futurs et de ses quelques limites. Malgré les difficultés que pose la mise en œuvre d’un projet aussi ambitieux et complexe, l’expérimentation et l’apprentissage accumulés au cours de ces années promettent d’être d’une grande valeur pour les années à venir. Bien que le cadre de l’État-nation continue d’être dominant, l’horizon d’une ville démocratique est là pour durer.


Photo d’illustration par Jesus Solana sour licence CC BY 2.0 via Wikimedia Commons et traduction mise à disposition selon les termes de la licenc CC BY-NC-SA 4.0

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